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idées pour les mieux comprendre. Jamais le droit de cette opération n’a été refusé aux philosophes. Il est donc permis de distinguer dans l’âme le moi du non-moi, sauf à les réunir plus tard. D’ailleurs Pierre Leroux va bien au-delà de l’observation précédente lorsqu’il nous dit que « c’est par notre corps, notre cerveau, que nous réfléchissons sur nous-mêmes. » Mais comment savons-nous que nous avons un cerveau ? Taine nous disait un jour : « Le cerveau est un téléphone qui ne sait pas qu’il est un téléphone. » C’est revenir à l’idée du cogito de Descartes. Si l’on méconnaît cette vérité, toute distinction du subjectif et de l’objectif disparaît, et la philosophie pèche par la base.

Pierre Leroux plaisantait, non sans raison, sur certaines métaphores qui avaient cours dans la psychologie classique. Victor Cousin disait que, « dans le fait de conscience, le parterre est sur la scène. » — « Eh quoi ! dit Pierre Leroux, si les comédiens sont au parterre, ils ne seront plus sur la scène, ils ne joueront plus, et ils ne verront rien sur la scène. »

L’erreur fondamentale de Victor Cousin est d’avoir mêlé le point de vue écossais, par lequel il avait débuté avec Royer-Collard, au point de vue allemand, où il s’est placé plus tard. C’est en effet lui-même qui nous fournit le vrai principe de la psychologie, qui est la négation même de la psychologie écossaise, lorsqu’il dit : « La pensée est un fait intellectuel à trois parties, qui périt tout entier dans le plus léger oubli de l’une d’elles ; ces trois parties sont, dans la pensée : son objet, son sujet, et sa forme. » Pierre Leroux reconnaît que cette formule, qui est le résumé de toute la philosophie depuis Descartes, fait le plus grand honneur à M. Cousin ; mais cette proposition, il l’a ensuite oubliée ; elle est la condamnation formelle de tout ce qu’il a écrit depuis et professé sur la psychologie, qu’il réduit d’ordinaire à la science du moi.

De la psychologie, Pierre Leroux passe à ce qu’il appelle l’ontologie de M. Cousin. Cette ontologie est tout entière dans la doctrine de la raison impersonnelle. Poussant cette doctrine à l’extrême, M. Cousin tombe en plein dans le panthéisme. La raison impersonnelle consiste à dire que l’homme, à proprement parler, ne pense pas, et que c’est Dieu qui pense pour lui. Malebranche aussi disait que nous pensons en Dieu. M. Cousin dit que c’est Dieu qui pense en nous. Pierre Leroux reproche à Cousin d’avoir défini Dieu par la raison, oubliant que Fénelon avait dit : « O raison ! n’es-tu pas le Dieu que je cherche ? » Les