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philosophes ; et chaque philosophe est obligé de recommencer à son tour cette tâche de Pénélope. Tout changement dans l’art, dans l’industrie, dans la science, est un changement dans la métaphysique. »

4° Suivant les époques, les philosophes font ou défont les religions. Nous retrouvons ici l’idée fondamentale de Pierre Leroux, à savoir que la philosophie et la religion sont identiques. Mais il y a des époques où les grands hommes religieux fondent des religions et introduisent dans le monde des dogmes nouveaux. Il en est d’autres où les philosophes semblent surtout occupés de détruire. Mais ce n’est qu’une apparence. Ils ne détruisent que ce qui est usé et déjà mort ; mais ils travaillent à préparer des dogmes nouveaux avec les débris des dogmes précédens. Mais c’est toujours la même œuvre, aussi religieuse dans un sens que dans l’autre. Ici Pierre Leroux ne faisait que répéter Jouffroy.

5° C’est encore, c’est toujours la même proposition qui revient sous des formes diverses. Il est impossible de séparer la religion de la philosophie. On dit : la religion, c’est le sentiment ; la philosophie, c’est la pensée. Mais on ne peut pas séparer l’un de l’autre ; la philosophie n’est pas uniquement pensée ; elle est aussi sentiment, en tant qu’elle tient à tout l’homme, et qu’elle vit par et dans l’humanité.

6° La sixième proposition proclame l’unité de l’esprit humain. En développant cette proposition, Pierre Leroux semble parler encore comme un éclectique ; en effet, il se demande comment on peut donner raison à la fois à tant de doctrines différentes : « Quel mérite, dit-il, et quelle utilité y a-t-il à être saint Paul, s’il y a quelque mérite et quelque utilité à être Voltaire ? Comment serai-je de cœur avec saint Paul, si j’ai quelque admiration et quelque sympathie pour Voltaire ? Et si même j’appartiens de cœur à la philosophie du dernier siècle, comment voulez-vous que je prenne le christianisme pour une philosophie, puisqu’il a fallu le combattre et le terrasser ? » Pierre Leroux répond : « Il y a une doctrine commune à ceux qui sont chrétiens et à ceux qui ne le sont pas, c’est la religion de la fraternité humaine. Qu’ont prêché les philosophes du XVIIIe siècle ? La tolérance, la liberté, l’égalité. N’est-ce pas la même chose que la doctrine chrétienne de la fraternité ? Il y a donc solidarité dans l’esprit humain. La religion et la philosophie sont arrivées chacune de leur côté à une doctrine commune, la doctrine de