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reproche au libéralisme. Mais, plus tard, lorsque l’éclectisme eut fini par se réduire au cartésianisme et à la philosophie du sens commun, il a pu prendre aussi une apparence de dogmatisme étroit et intolérant. Si donc l’on veut bien comprendre le sens et la raison d’être de la Réfutation de l’Éclectisme, il faut écarter entièrement le point de vue moderne. En effet, ce point de vue, celui de M. Taine par exemple, et de la philosophie ultérieure, a été l’esprit scientifique. Le point de vue de Pierre Leroux, au contraire, issu du saint-simonisme, était l’esprit religieux, l’esprit humanitaire, auprès duquel la philosophie de Cousin et de ses amis paraissait froide et stérile. Quand on vient créer un monde, quelle estime peut-on faire de ceux qui se contentent modestement de conserver et de sauver les trésors du passé ? Qu’est-ce qu’un Cicéron à côté de Jésus ? Le rôle des saint-simoniens et de leurs adeptes était de recommencer Jésus. Le rôle de Victor Cousin et de ses amis était de faire à l’égard de la philosophie du passé en général l’œuvre de Cicéron à l’égard de la philosophie grecque.

L’éclectisme lui-même, d’ailleurs, avait eu sa part dans la première élaboration du saint-simonisme. Le fameux article de Jouffroy dans le Globe : Comment les dogmes finissent, avait vivement frappé les jeunes générations de ce temps-là. Jouffroy avait opposé les dogmes anciens aux dogmes nouveaux, le christianisme à la philosophie chargée de les remplacer. Telle fut la principale ambition du saint-simonisme, dont l’Evangile était contenu dans le Nouveau Christianisme de Saint-Simon. Pierre Leroux avait connu cet article de Jouffroy de première main, car il était avec lui l’un des rédacteurs du Globe.

Une philosophie, qui aspirait, comme celle de Saint-Simon, à devenir une religion, devait trouver bien sèche et bien froide la philosophie de Cousin et de Jouffroy, inspirée du cartésianisme et de l’école écossaise, et qui dut paraître encore plus sèche et plus froide, lorsqu’elle devint philosophie d’enseignement, et fut tenue à certaines réserves à l’égard de la religion chrétienne. À cette philosophie Pierre Leroux opposait les trois points constitutifs de la nouvelle doctrine, qui devait prendre pour titre : Doctrine de la Perfectibilité ou Doctrine de l’Idéal[1].

1° La philosophie et la religion sont une seule et même chose.

  1. Plus tard. Doctrine de l’Humanité.