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en présence l’un de l’autre ; l’idée morale ou l’idée abstraite est d’abord développée pour elle-même. Ainsi, dans Racine, voyez la comparaison de l’enfant aimé du Seigneur à un ruisseau qui coule une onde pure. L’idée de l’enfant, c’est-à-dire l’idée abstraite, est la principale ; la métaphore, c’est-à-dire le ruisseau, n’est que l’accessoire ; elle est tout dans le style symbolique. Par exception, cependant, Racine a employé une fois le style symbolique :

Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé ?

C’est que la prophétie de Joad est une véritable vision. Toute la poésie moderne, et surtout la poésie de Victor Hugo, est symbolique. La métaphore, réduite à elle seule, y remplace constamment la comparaison. Dans la pièce des Deux Iles :

Il a bâti en haut son aire impériale,

le nom de Napoléon n’est pas prononcé, pas même celui de l’aigle, et cependant tout le monde comprend qu’il s’agit d’un aigle, et que cet aigle est Napoléon : l’un des deux termes de la comparaison disparaît complètement ; de même, dans René, Chateaubriand a dit : « Orages désirés qui doivent m’emporter dans les espaces d’une autre vie. » La forme symbolique paraissait ridicule aux critiques de la vieille école. Ils se moquaient du vent de la mort et des orages de René. Cet emploi du style symbolique a permis de multiplier les comparaisons sans lasser le lecteur. Dans la pièce des Fantômes : « Que j’en ai vu mourir ! » on trouve la même idée exprimée successivement dans vingt vers différens ; il en eût fallu plus de deux cents dans l’ancien système. Dans le sujet symbolique, on ne développe plus l’idée abstraite ; on s’exprime par emblème, par allégorie, par symbole. Cette évolution a eu pour origine le culte de la nature engendré par Rousseau, quoique lui-même, par son style, appartienne encore à la forme classique. C’est dans Bernardin de Saint-Pierre et surtout dans Chateaubriand que l’on voit s’introduire le style symbolique. Ce changement n’a pas eu lieu, comme l’ont cru quelques critiques, par l’imitation des littératures du Nord et surtout de Shakspeare. Non ; ce changement s’est produit spontanément, par une force intérieure de développement et par une sorte de croissance naturelle. C’est le besoin de poésie, le besoin de rénovation, par des formes nouvelles, des idées morales et religieuses, qui l’a engendré. On a pris goût à la Bible, dont Voltaire se moquait tant. On a