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pour nous distraire, la Réfutation de l’Éclectisme ; et, quoique cette lecture ne fût pas divertissante pour la plupart de nos camarades, j’y trouvais un intérêt puissant. La même année, en 1840, parut le livre De l’Humanité. Je peux dire que je le dévorai, tant j’étais voué alors à la doctrine de la perfectibilité et de la métempsycose. On voit que, si je n’ai pas parlé du livre de Pierre Leroux dans mon travail sur Victor Cousin, ce n’était ni par indifférence ni par dédain. Mais j’avais systématiquement écarté de mon sujet et de mon plan toutes les polémiques qui s’étaient élevées sur la personne et les écrits de M. Cousin ; c’est ainsi que je n’ai parlé ni de Taine, ni de Lerminier, ni de Secrétan, ni de Gioberti, etc. C’eût été grossir indéfiniment mon sujet, et, pour diverses raisons, je tenais à le restreindre. Cependant, la lettre de mon correspondant anonyme ne laissa pas de me causer un certain remords : c’était une espèce d’ingratitude envers un penseur qui m’avait passionné si vivement dans ma jeunesse ; et, je me promis de revenir sur ce sujet aussitôt que le temps et mes travaux me le permettraient. C’est pour répondre à cet engagement intime que je voudrais aujourd’hui exposer fidèlement et amplement la philosophie de Pierre Leroux, plus connu par son rôle de socialiste militant en 1848 que par ses écrits philosophiques, lesquels cependant ont historiquement une réelle valeur, et présentent un véritable intérêt. Pierre Leroux, de son temps, a exercé une grande influence. Il a été l’ami de George Sand, de Jean Reynaud, de Viardot. Il avait beaucoup d’imagination, beaucoup de verve, un talent abondant jusqu’à la prolixité, une érudition indigeste, mais vaste. Enfin, c’était une nature. M. Vacherot l’a très bien caractérisé dans cette phrase : « Pierre Leroux, pauvre enfant d’ouvrier, timide, naïf, enthousiaste, avide de science, chercheur de problèmes, plein de promesses, riche de facultés, dont un défaut inné de méthode et de précision devait empêcher le développement d’aboutir à des œuvres complètes et bien ordonnées[1]. »

Quelques détails biographiques compléteront ces notions préliminaires. Pierre Leroux est né, en 1798, à Paris selon la Biographie Michaud ; à Rennes selon le Dictionnaire des Contemporains. Cette divergence vient de ce que Pierre Leroux est né en effet à Paris, mais qu’il a fait ses études au lycée de Rennes, où il

  1. Introduction aux Fragmens littéraires, de Dubois (de la Loire-Inférieure), 1879.