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on est apte serait encombrée. « Il est bien vrai, répond M. Jaurès, qu’on ne pourra trouver place dans une industrie ou une profession déterminée que s’il y a des vacances ; mais aujourd’hui il en est de même. » Aujourd’hui, répliquerons-nous à notre tour, c’est le rapport des besoins ou demandes avec les offres qui détermine les courans vers les professions ; dans l’Etat collectiviste, il faudra que le gouvernement décide combien il veut de maçons, combien de poètes et de philosophes, combien il veut de chimistes, combien de prêtres (s’il consent encore à l’existence des prêtres ! ), combien de journalistes pour l’admirer, combien pour l’attaquer, etc. L’ouvrier, dans l’organisation collectiviste, affluerait évidemment vers les professions plus rémunérées, déserterait certaines industries nécessaires au fonctionnement de la société. On aboutirait à la nécessité de la réquisition, nécessité reconnue par M. Guesde. Peut-on dire que ce régime soit « le triomphe de la liberté ? »

On nous console en disant qu’on aura supprimé la concurrence ! En réalité on aura remplacé la lutte économique par la lutte électorale : car il y aura une nuée immense de fonctions à distribuer, à répartir : que d’intrigues, que de menées sous terre, quel remue-ménage pour se pousser ou pousser ses amis aux bonnes places, aux bons emplois, aux postes où l’on dirigera et commandera plutôt qu’à ceux où il faudra obéir ! Et comme on se disputera la manne administrative ou politique ! Jamais la concurrence n’aura été plus effrénée.

Pour mettre fin à l’injustice des monopoles capitalistes, le collectivisme, par la voie de l’autorité et par son faisceau formidable de forces réunies, aboutira plus sûrement encore aux monopoles ; il sera le monopole même érigé en principe au profit de l’Etat. Dès lors, vous aurez des centralisations omnipotentes de l’industrie, de l’agriculture, du commerce, du transport et de la navigation. — Non, répond M. Jaurès, le collectivisme ne sera pas la multiplication des monopoles, parce que le monopole a « un caractère fiscal » et est établi « en vue de l’impôt. » — Qu’importe qu’il soit fiscal ou non, si la liberté n’existe pas pour l’industrie ? C’est l’absence de liberté et non la fiscalité qui crée le monopole. A la ploutocratie vous aurez, au lieu de la détruire, substitué simplement l’ochlocratie. Aux associations coopératives vous aurez substitué des associations coercitives. Le commandement en sera-t-il adouci, la discipline allégée ? L’avenir en sera-t-il