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Congo français, colonie toute neuve et d’installation rudimentaire, l’Oubangui, grande rivière qui, hier, était absolument ignorée et qui est encore aujourd’hui mal connue, puis la boucle du Niger dont on peut dire à peu près la même chose. Nous n’avions que le courage, l’héroïsme et la patience de nos explorateurs et de quelques soldats. Quelle inégalité, quelle disproportion dans les moyens employés ici et là ! D’autres que les hardis champions et pionniers de la France en auraient été découragés dès les premiers jours ; mais c’est un sentiment que les nôtres ne connaissent pas. Ils ont fait des prodiges qui ont été admirés par le monde entier. Et quel était le but que se proposaient à la fois Anglais et Français ? Pourquoi ne pas le dire, c’était le Haut-Nil. Nous avions parfaitement le droit de tendre vers le Haut-Nil aussi bien que les Anglais, de l’atteindre si nous le pouvions, et de nous y établir : mais nous sommes partis et arrivés trop tard, avec une simple poignée d’hommes décimés par les fatigues de la route. Les Anglais, sous les ordres de l’heureux sirdar Kitchener, sont partis à l’heure opportune et avec toute une armée : s’ils ne sont arrivés qu’après nous, ils avaient pour eux une immense supériorité de forces militaires et le prestige d’une éclatante victoire. Alors se sont passés les incidens sur lesquels nous n’avons pas à revenir. La rencontre des Anglais et des Français a été courtoise, mais combien périlleuse ! L’heure de la diplomatie avait sonné. Seule la diplomatie pouvait dénouer la situation, et il y avait urgence à le faire. Mais comment ? Nous étions bien obligés de reconnaître que nos entreprises dans le Bahr-el-Ghazal, quelque honorables qu’elles eussent été pour nous, avaient finalement échoué. Elles étaient venues se briser à Fachoda contre la résistance britannique. Nous devions renoncer désormais à tout établissement sur le Haut-Nil. Dès lors à quoi pouvait nous servir celui que nous avions fait au milieu des marais malsains de Meschra-er-Rek ? A quoi pouvait nous servir celui que nous avions fait au fort Desaix ? Tous ces points, où nous avions planté les jalons de notre route vers le Nil, nous devenaient inutiles : il aurait fallu l’obstination la plus aveugle pour ne pas le reconnaître. Quelques-uns des événemens qui venaient de se passer avaient un caractère définitif. De part et d’autre, l’effort le plus grand possible avait été accompli : nous ne pouvions pas demander davantage à nos explorateurs et à nos officiers. Un gouvernement sérieux devait prendre son parti d’une situation qui ne pouvait plus s’améliorer. Le moment était venu de distinguer, dans l’ensemble de nos opérations, le passif et l’actif, de liquider l’un et de réaliser l’autre. C’est ce que nous avons fait.