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une compensation quelconque. Il est toujours dangereux de triompher trop haut dans les rapports internationaux. Au reste, nous sommes pour le moment à l’abri de semblables illusions. L’arrangement du 21 mars est raisonnable, rien de plus. Nous ne pouvions guère espérer mieux, et peut-être aurions-nous obtenu encore moins, si nous avions laissé se prolonger une situation qui, du matin au soir, pouvait être obscurcie par de nouveaux orages. Notre gouvernement a profité de la première accalmie qui s’est offerte ; il a bien fait. Désormais l’Angleterre ne peut plus se tromper sur nos dispositions. Nous avons suffisamment montré qu’elles étaient conciliantes ; on n’a plus rien à nous demander pour confirmer cette démonstration. M. Delcassé à Paris et M. Paul Cambon à Londres, en cédant ce qu’ils ne pouvaient plus ne pas céder, mais en réservant le reste, ont donné un gage de bonne volonté qui, nous n’en doutons pas, a été apprécié à sa valeur. Notre situation à l’égard de l’Angleterre redevient normale. Après les émotions de ces derniers mois, c’est beaucoup que nous soyons arrivés avec elle, au bout de quelques semaines de conversation, à un accord aussi complet : l’arrangement du 21 mars avait, à ce point de vue, une opportunité particulière. Aussi a-t-il été approuvé en France comme en Angleterre, bien que pour des motifs un peu différens.

Quel en est le caractère général ? Quel en est l’objet précis ? Peu de mots suffisent pour l’indiquer. Nous renonçons à toute action personnelle dans le bassin du Haut-Nil, et on nous attribue toute la région septentrionale et orientale du lac Tchad. Il n’y a là, d’ailleurs, rien d’arbitraire, et on peut dire que l’arrangement a été fait, conformément à une vieille formule du droit des gens, sur la base de l’uti possidetis. Chacun, en somme, conserve ce qu’il a su s’approprier, et c’est ainsi que se résolvent presque toujours les contestations les plus longues et les plus difficiles. La diplomatie, quelle que soit son habileté, ne peut guère que constater un état de choses et le rendre plus ou moins durable : elle fixe un moment des choses.

Depuis plusieurs années, l’Angleterre et la France étendaient, développaient au moyen de toutes leurs ressources leur situation dans les mêmes régions de l’Afrique centrale. Les ressources de nos voisins étaient très supérieures aux nôtres. Ils avaient pour point de départ et pour base d’opérations la Basse-Egypte, où ils sont établis depuis quelque dix-huit ans, c’est-à-dire un des pays les plus beaux, les plus fertiles et les plus antiques du monde, qui leur fournissait tout ce dont ils avaient besoin. Le Nil leur servait de grand chemin. Nous n’avions, nous, pour point de départ et pour base d’opérations, que le