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fin mot de l’affaire : jadis un papa de nos papas a vu la nudité du patriarche Noé. »

Nous enseignons aux noirs que Dieu les a maudits, qu’ils sont le rebut du genre humain, et nous prétendons les initier aux grands mystères, à tous les secrets des peuples qui se tiennent pour des vases d’élection. « Quand j’entends affirmer, dit Mlle Kingsley, que nous devons nous faire un devoir de civiliser les races inférieures, parole qui, semble-t-il, possède une vertu magique, je pense à cet éléphant au cœur tendre qui écrasa par mégarde une perdrix, dont le nid était plein de petits perdreaux qui n’avaient pas encore de plumes. Touché de repentir, il résolut de leur tenir lieu de mère, et, versant une larme, il s’assit sur la couvée. Voilà précisément ce que fait dans l’Afrique occidentale l’Angleterre du XIXe siècle. » Mais cette tendre mère use parfois de rigueur. Quand on voit les revenus diminuer et qu’on a peine à payer les fonctionnaires, on imagine d’établir, au mépris des traités, une taxe sur les indigènes, et comme, aux yeux de l’Africain, taxer sa maison, c’est la lui prendre, cette mesure irréfléchie et malencontreuse engendre des révoltes et des guerres, lesquelles font dans les finances publiques de gros trous qu’il faut boucher. Mlle Kingsley en conclut qu’au lieu de tant écrivailler et de tant se chamailler, certains fonctionnaires devraient prendre à tâche de connaître un peu mieux l’indigène, d’étudier ses mœurs et sa langue, et de se persuader que, si l’Angleterre est tenue de supprimer dans ses colonies l’anthropophagie, la traite, les sacrifices humains, elle trouvera son profit, sans inconvénient pour la justice, à laisser les Africains se gouverner à leur façon et les perdrix soigner elles-mêmes leurs petits.

M, u Kingsley a un autre grief contre les gouverneurs des colonies de la Couronne, et ceci nous regarde : elle leur reproche amèrement de n’avoir pas songé en temps opportun à se défendre contre nos entreprises, nos empiétemens, nos usurpations de territoire. L’ennemi veillait, travaillait, conquérait, et l’Angleterre africaine vivait dans l’indolence, goûtait les douceurs d’un sommeil tropical. Avait-on par instans de vagues inquiétudes, on se rassurait bien vite en se disant : « Quoi qu’ils fassent, nous détenons les clefs du continent noir, puisque nous possédons l’embouchure des rivières. » Et, pendant ce temps, la France occupait l’arrière-pays des possessions anglaises, menaçait leurs communications avec l’intérieur, s’ingéniait à détourner à son profit les routes où passent les marchandises. Tout à coup on se réveilla, on poussa un cri d’alarme, on s’indigna contre les voleurs : « La politique coloniale de la Grande-Bretagne dans l’Afrique