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mois l’air natal. Il laisse la place à son secrétaire général, qui goûtant peu sa politique, se croise les bras, laisse aller les choses à la dérive. Le gouverneur revient ; il a perdu le fil, il lui faut du temps pour se mettre au fait, pour débrouiller son écheveau. Il a profité de son séjour dans la mère patrie pour solliciter son déplacement ; il l’obtient. Il avait son idée, il l’emporte avec lui ; son successeur apporte la sienne, qui n’est pas la même, car tout gouverneur a son système, son dada. L’un fait passer avant tout les questions d’écoles et d’instruction publique ; un autre met sa gloire à bâtir une cathédrale, et c’est à cela qu’il emploiera les fonds disponibles ; un autre ne s’intéresse qu’aux chemins de fer ; celui qu’il commence ne sera peut-être achevé que dans cinquante ans d’ici.

Qu’elles réussissent ou qu’elles avortent, toutes ces entreprises incohérentes et coûteuses font le vide dans les caisses. Les revenus diminuent ; ce qui s’accroît sans cesse, ce sont les dépenses et le nombre des fonctionnaires. Au risque de compromettre l’avenir du commerce, il faut augmenter les droits de douane, après quoi l’on découvre que le meilleur moyen de diminuer les frais d’exploitation d’une colonie, c’est de n’y rien faire, et on ne fait plus rien, et tout languit, et on s’endort. Mais bientôt arrivent de la métropole des avertissemens sévères ; on se réveille en sursaut, on se remue, on s’agite. Dans certaines colonies, s’il en faut croire Mlle Kingsley, « la politique est un long coma interrompu par des attaques de nerfs. »

De qui veut-elle parler ? Dépenses improductives qui excèdent les recettes, expédions à trouver pour accroître les revenus, multiplication incessante des fonctionnaires, bureaucratie, écritures, paperasses, instabilité dans le gouvernement, contradictions, essais malheureux, entreprises qui restent en chemin… Est-ce à nous qu’elle en a ? Rassurons-nous : elle fait leur procès aux colonies anglaises de la Couronne, à la Gambie, à Sierra-Leone, à la Côte-d’Or, au Lagos, où l’Angleterre, paraît-il, suit les mêmes erremens qu’elle a suivis dans les Indes occidentales, dans la Guyane, ailleurs encore, et il est permis d’en conclure que sa sagesse et son habileté justement vantées ne sont point infaillibles, que dans leurs entreprises coloniales nos voisins ne sont pas exempts des maladies dont nous souffrons, des erreurs qu’ils aiment tant à nous reprocher.

Ce qui a fait la gloire de la Grande-Bretagne, ce sont ses colonies à colons ; mais, suivant Mlle Kingsley, elle ne s’occupe pas assez de protéger ses marchands, et cependant, si ses marchés africains étaient mieux tenus, mieux administrés, elle en retirerait assez de profit pour