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profita de l’occasion pour acheter un serin du pic de Ténériffe. Le marchand auquel il s’adressa passait pour un fin matois, peu scrupuleux, qui surfaisait sa marchandise. Il se promit d’en avoir raison ; à sa vive surprise il le trouva accommodant, traitable, facile, et le jour du paiement, il lui fit accepter comme appoint une boîte de cigares de Hambourg : c’était un marché d’or. Il entreprit aussitôt de faire l’éducation de son oiseau ; deux semaines durant, il frotta un bouchon mouillé contre une bouteille vide ; c’est ainsi qu’on apprend la musique aux canaris.

Le sien résistait ; il n’obtenait de lui qu’un vague gazouillement. Il s’obstina, s’acharna, frottant sa bouteille avec une énergie croissante, redoublant de jour en jour de puissance persuasive, si bien qu’un matin son élève pondit un œuf : le malheureux avait songé à tout sauf à s’assurer que son canari était un mâle. Il en va de même, dit Mlle Kingsley, dans plus d’une colonie ; on commet des péchés d’omission ou d’ignorance ; on n’a pas su se renseigner, on bâtit son système sur des conjectures en l’air ; les prémisses étant fausses, plus on raisonne, plus on s’égare, jusqu’au jour où vous découvrez que votre serin était une femelle et ne chantera jamais.

Il y a des colonies qu’administre un gouverneur, assisté d’un conseil, dont il prend quelquefois les avis ; mais s’agit-il de choses importantes, c’est à la métropole qu’il s’adresse. Il demande des instructions au ministre qui l’a nommé, et qui, en général, est très mal informé de ce qui se passe si loin de lui et souvent ne s’y intéresse que vaguement : il a tant d’affaires sur les bras ! Autour du gouverneur se groupent tout le personnel d’un secrétariat, d’une chancellerie et de nombreux fonctionnaires préposés au département de l’hygiène, à la police, aux douanes. Le plus souvent ces fonctionnaires ne s’entendent point ; ils se surveillent, s’épiloguent les uns les autres, se jouent de mauvais tours, et leurs jalousies, leurs querelles, dont ils entretiennent volontiers leur gouvernement, absorbent une partie de leur temps. Le reste est consacré aux écritures ; ils l’emploieraient plus utilement à étudier le pays et ses habitans, sur lesquels ils n’ont pour la plupart que des notions confuses ou fausses. Mais tout vrai fonctionnaire, nous dit Mlle Kingsley, est fermement convaincu que les paperassiers sont le soutien de l’État et que les droits de douane ont été inventés pour les nourrir.

Dans les colonies dont elle fait une si fâcheuse peinture, il n’y a point d’esprit de suite. Après un an de résidence, le gouverneur éprouve le besoin de se reposer, de se refaire, en respirant pendant quelques