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introduction de quelques pages qui nous a été conservée par le manuscrit de 1826, puis dans une Préface testamentaire publiée ici même en 1834 et recueillie pour la première fois par M. Biré dans son édition, il y a répondu avec une vigueur de conviction presque irrésistible. L’introduction de 1826, — ou plutôt de 1809, — est écrite d’un style plus simple, plus modeste, et, si je l’ose dire, moins retentissant de l’éclat d’une victorieuse fanfare ; je ne sais pourtant si elle n’est pas plus persuasive que l’éloquente Préface de 1834. « Je considère, y disait-il, que, ma vie appartenant au public par un côté, je n’aurais pu échapper à tous les faiseurs de mémoires, à tous les biographes marchands, qui couchent le soir sur le papier ce qu’ils ont entendu dire le matin dans les antichambres. » Et, après un portrait peu flatté de son siècle, il concluait : « Tout homme qui a joué un rôle dans la société doit, pour la défense de sa mémoire, laisser un monument par lequel on puisse le juger. » On ne peut certes refuser à Chateaubriand le droit d’écrire, au même titre que Guizot, des Mémoires pour servir à l’histoire de son temps.

Et il en avait une autre raison, — raison d’artiste, celle-là, de poète, de moraliste aussi, — et qu’il faut bien lui passer, puisqu’elle nous sert, aujourd’hui encore, à justifier du « sot projet qu’ils ont eu de se peindre » et Montaigne et Rousseau. « J’écris principalement, a dit Chateaubriand, et nous pouvons l’en croire, pour rendre compte de moi-même à moi-même. Je n’ai jamais été heureux, je n’ai jamais atteint le bonheur, que j’ai poursuivi avec une persévérance qui tient à l’ardeur naturelle de mon âme ; personne ne sait quel était le bonheur que je cherchais, personne n’a connu entièrement le fond de mon cœur ; la plupart des sentimens y sont restés ensevelis ou ne se sont montrés dans mes ouvrages que comme appliqués à des êtres imaginaires. Aujourd’hui que je regrette encore mes chimères sans les poursuivre, que parvenu au sommet de la vie je descends vers la tombe, je veux avant de mourir remonter vers mes belles années, expliquer mon inexplicable cœur, voir enfin ce que je pourrai dire lorsque ma plume sans contrainte s’abandonnera à tous mes souvenirs[1]. »

On ne saurait, ce semble, être plus explicite ; et nous pouvons maintenant nous représenter avec exactitude ce qu’a voulu faire

  1. Manuscrit de 1826.