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publiée par M. Michaut[1]. Évidemment un tel travail, à supposer qu’on en puisse jamais réunir tous les élémens, serait aujourd’hui plus que prématuré. Mais on peut, dès maintenant, en jeter les premières bases et en faire pressentir l’intérêt ; et c’est de quoi M. Biré s’est très justement avisé. En 1826, — toute la première partie des Mémoires était alors terminée, — Mme Récamier, en amie prévoyante, avec l’aide de Charles Lenormant, avait copié sur le manuscrit primitif les trois premiers livres : cette copie, assez différente du texte de 1848, a été publiée en 1874 sous le titre de Souvenirs d’enfance et de jeunesse de Chateaubriand : manuscrit de 1826. M. Biré en a extrait un certain nombre de variantes, — non pas toutes, malheureusement, — qu’il donne le plus souvent au bas des pages. D’autre part, en 1834, — sept volumes des Mémoires étaient alors achevés, — des lectures en furent faites à l’Abbaye-au-Bois, des fragmens communiqués aux journaux et revues ; un volume fut même publié, ayant pour titre : Lectures des Mémoires de M. de Chateaubriand, ou Recueil d’articles publiés sur ces Mémoires avec des fragmens originaux ; M. Biré a retrouvé ce volume devenu, paraît-il, très rare, et il a eu l’heureuse idée d’en détacher quelques leçons nouvelles, qu’il fait suivre de la mention un peu ambitieuse peut-être : Manuscrit de 1834.

Sont-ce là cependant les seules ressources dont actuellement nous puissions disposer pour établir le texte critique des Mémoires d’Outre-Tombe ? Puisque M. Biré nous invite lui-même à nous poser la question, il me permettra bien de lui signaler quelques points sur lesquels on serait heureux de le voir

  1. Mais Pascal ne se corrige que pour s’améliorer : Chateaubriand, lui, n’étant plus ici conseillé par Joubert et par Fontanes, a eu rarement des corrections heureuses. Au contraire, si quelqu’un publiait jamais une édition critique du Génie du Christianisme, on serait frappé d’y voir combien, sous la salutaire influence de ses amis, d’année en année, et d’édition en édition, le goût de l’écrivain s’épure, sa pensée se précise et s’affine, son œuvre, en un mot, se perfectionne et se classicise. Et, comme l’on y verrait bien d’autres choses encore, il faut souhaiter que ce dernier travail, le plus urgent, trouve sans trop tarder, avec un libraire, un metteur en œuvre intelligent : rien n’est indifférent dans l’histoire, même littéraire, d’une œuvre qui marque une date aussi importante dans l’évolution des idées et des mœurs. Je connais, en ce qui concerne le texte seul, non les Préfaces et les « épisodes, » quatre éditions différentes du Génie : la première, celle de 1802 ; — la seconde, celle de 1803 ; — l’Abrégé à l’usage de la jeunesse, en 1804 ; — la cinquième enfin, celle de 1809. On notera d’ailleurs que l’édition princeps de 1802 n’est en réalité que la troisième, et qu’elle a été précédée de deux éditions « manquées, » imprimées l’une à Londres et l’autre à Paris, mais qui, hélas ! sont devenues aussi introuvables que le manuscrit du Génie du Christianisme lui-même.