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édition des Sermons de Bossuet : c’est celle de l’abbé Lebarq ; il n’y aura plus désormais qu’une seule édition des Mémoires d’Outre-Tombe : ce sera celle de M. Edmond Biré.

L’un des principaux mérites du nouvel éditeur est d’avoir rendu au monument son architecture primitive. Il a rétabli la division en parties et en livres que le poète avait adoptée pour tous ses grands ouvrages, et qui, jusqu’en 1846, — on nous en donne des preuves péremptoires, — se retrouvait dans le manuscrit. De ce que cette division ne figurait pas jusqu’à présent dans les éditions des Mémoires, devons-nous d’ailleurs conclure qu’elle avait disparu du manuscrit, — ou de la copie peut-être, — qui, après la mort de l’écrivain, fut remis à Emile de Girardin ? M. Biré me parait s’y résigner un peu bien aisément. « Il faut bien croire, écrit-il, en présence de l’édition de 1849-1850 et des éditions suivantes, qui en sont la reproduction pure et simple, que le manuscrit de Chateaubriand, dans son dernier état, ne renfermait plus « cette division en livres et en parties, » dont l’auteur lui-même parle en tant d’endroits. » Et sans doute, l’on peut admettre que ces suppressions regrettables aient la même origine que les « retouches malheureuses » que Chateaubriand, dans les dernières années de sa vie, a fait subir au style des Mémoires. J’ai pourtant peine à croire qu’un artiste comme lui ait pu commettre une aussi étrange faute de goût ; j’aimerais mieux les mettre au compte d’Emile de Girardin et des premiers éditeurs des Mémoires, qui semblent bien n’avoir fait que réimprimer le texte fourni par la Presse ; et, en attendant qu’un jour peut-être la découverte du manuscrit définitif permette d’élucider pleinement la question, je félicite M. Biré d’avoir restitué aux Mémoires leur physionomie primitive et véritable. Ils ne sont plus maintenant « divisés, découpés en une infinité de petits chapitres, comme si le feuilleton continuait encore son œuvre, » mais, bien au contraire, les différentes parties s’en distribuent avec une lumineuse netteté : des Prologues, des finales d’une somptueuse mélancolie ou d’une glorieuse éloquence s’en détachent avec éclat ; on avait affaire autrefois, — c’est un admirateur, un disciple ici qui parle, M. de Marcellus, — à « une série de fragmens sans plan, presque sans symétrie, tracés de verve, suivant le caprice du jour : » on se retrouve en face d’une admirable œuvre d’art ; et, grâce à M. Biré, les Mémoires nous apparaissent enfin comme une triomphante épopée dont Chateaubriand est à la fois le héros et le poète.