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défendues par des fossés de grande importance. On aperçoit, dans l’intérieur, des kiosques en ruines et des toits aux tuiles jaunes d’un effet bizarre. La colline dite « Montagne de charbon, » parce qu’elle est faite de combustibles accumulés par un Empereur prévoyant, domine les jardins impériaux. Elle est maintenant couverte de végétation et surmontée d’un kiosque.

Ma promenade favorite était de parcourir, le soir, au coucher du soleil, les berges du canal qui relie Pékin au Peï-Ho. Nous allions là, après la chaleur du jour, chevauchant jusqu’au fameux pont de Pa-li-Kao, tout le long de l’eau, au milieu des roseaux, et regardant passer de nombreuses barques tirées à la cordelle que frètent les joyeux viveurs de Pékin. Ces Célestes bien soignés, à la tresse irréprochable, à la tunique bleu de ciel, accompagnaient des dames outrageusement fardées, dont les grandes coiffures à la mode tatare, chargées de fleurs éclatantes, donnaient à leur silhouette un certain air d’élégance et de fête. Très souvent, posté à l’avant de la barque, un poète, s’accompagnant d’un instrument à cordes, chantait des vers ou des improvisations que tous semblaient écouter attentivement.

De quelque côté que l’on sorte de Pékin, il faut généralement, pendant plusieurs kilomètres, longer ces murs énormes qui rappellent une cité biblique. On y croise des convois de chameaux, des marchands trottinant sur de petits ânes, des palanquins de voyage portés par deux mules, des enterremens aux draperies multicolores avec le cortège des parens larmoyans et tout de blanc habillés, en signe de deuil. Puis ce sont des chasseurs s’en allant le faucon au poing, comme dans les temps antiques, des archers s’exerçant à tirer au but, ou bien encore des soldats avec leurs fusils, pauvres armes sans crosse et sans chien, qui vraiment semblent un défi jeté au chemin de fer dont le sifflet se peut entendre à quelque distance.

Quand je quittai Pékin, au mois de juillet dernier, la sécurité y était encore parfaite. J’ai circulé dans toutes les rues sans essuyer une injure ou remarquer un regard malveillant. Depuis lors, d’après les journaux, la situation se serait bien modifiée, exigeant la présence de troupes étrangères pour protéger les légations. C’est bien possible ; mais le besoin de protection s’est accru sans doute de l’utilité d’un moyen d’intimidation mis immédiatement sous la main des agens diplomatiques, car l’effet utile que peut produire, dans la capitale du Céleste Empire, une