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comme il est malaisé de s’occuper du prochain, représenté par un trop petit nombre d’individualités à ménager, on en est réduit aux conversations les plus banales, aux discussions les plus démodées.

Les hommes, cependant, qui, là sur la brèche, défendent pied à pied les intérêts de leur gouvernement, sont naturellement fort intéressans, car ils ont été choisis avec soin pour la mission qui leur est confiée. Les uns, fins comme l’ambre, savent jouer du Chinois avec un merveilleux doigté ; d’autres, durs comme le précieux jade, évoquent, à tout propos, l’image des gros bataillons et des indiscrètes canonnières : ils menacent et tonnent… Et les Chinois, déconcertés par tant de souplesse, d’intimidations ou de violences, promettent, puis retirent, donnent ou redonnent et, en lin de compte, s’aperçoivent que, si les nations de l’Occident sont à redouter, elles sont loin de s’entendre. Ils se disent que la meilleure des politiques consiste à diviser ses adversaires. Jusqu’à présent, ils n’ont pas mal réussi.

Il peut être intéressant de rappeler ici, en deux mots, quelle est la situation politique de la Chine à l’heure où s’ouvre sans doute une ère nouvelle de son histoire. Car il ne faut pas se le dissimuler : le principe du partage de la Chine, qu’il s’effectue par la violence, c’est-à-dire par une prise de possession pure et simple, ou par la douceur, en faisant valoir des influences plus ou moins exclusives, peut être dans l’histoire du XXe siècle un facteur aussi important que le fut au XVe la découverte de l’Amérique. Que deviendra pour l’industrie, pour le commerce du monde, un débouché tout à coup grand ouvert dans un pays qui renferme 400 millions d’hommes ? Ils acceptent des chemins de fer, et se résignent à laisser exploiter leurs mines d’une prodigieuse richesse. Voilà, pour courir au plus pressé, quelle sera la première œuvre accomplie, probablement en moins de dix années. Je sais bien qu’il y aura des difficultés, des hésitations, des déboires, mais le coup de hache semble irrémédiablement donné dans l’édifice vermoulu de la Chine fermée au progrès, et l’assainissement, tel que le comprend notre civilisation, n’est plus qu’une question de mois.

En jetant un regard sur la carte, et en suivant la côte de l’est à l’ouest, il est facile de se rendre compte comment, à l’heure actuelle, la diplomatie a dessiné ses prétentions sur le territoire du Céleste Empire. La Corée, naguère vassale de la Chine, ne