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II

Le séjour d’été à Pékin n’a jamais passé pour une villégiature agréable ; les mois de juin, juillet et août y sont particulièrement maussades. L’extrême chaleur, qui s’élève souvent à 40e centigrades, puis la saison des pluies, qui développe une humidité malfaisante, y rendent la vie tout bonnement odieuse. D’habitude le corps diplomatique va s’établir, pendant cette saison défavorable, soit aux collines à quelques lieues de Pékin, soit au bord de la mer, non loin de Tien-tsin. Mais, cette année, l’activité était telle que chacun s’attarda dans la capitale, car il ne s’agissait pas de se laisser distancer par le voisin dans la course inouïe, dont je fus le témoin, pour faire prévaloir au Tsung-li-Yamen son influence ou ses protections.

Qu’on se figure l’état de nervosité auquel peut arriver ce groupe de diplomates isolés au bout du monde, et chargés de défendre avec acharnement des intérêts où la moindre défaillance peut avoir des conséquences incalculables. Ils forment l’unique colonie d’Européens tolérés à Pékin, car la ville est, en principe, interdite aux étrangers. Seules les légations ont, de par les traités, le droit de s’y établir, et de l’une ou l’autre d’entre elles dépendent l’hôtelier ou les deux chefs de magasins qui, avec les missionnaires et les sœurs, constituent l’élément hétérogène. On vit là presque en dehors du courant du monde, car les journaux d’Europe perdent leur attrait, arrivant avec six semaines de date et déflorés par les dépêches télégraphiques reçues au hasard des événemens. La seule Gazette de Pékin, écrite en chinois, sert d’organe officiel : ce sont de petits carrés de papier léger, plus ou moins allongés selon l’importance de la matière, qui d’ailleurs est circonscrite aux actes du gouvernement et aux communications administratives. Alors, tous ces agens diplomatiques, sans distinction de grade, confinés tout le long du jour dans leurs habitations ou leurs jardins, s’absorbent dans la besogne courante et dans les instructions que le télégraphe à 8 francs le mot leur apporte à jet continu. On ne pense plus qu’à cela, au point qu’on n’ose plus en parler !

Quand on se rencontre aux dîners, qui sont nombreux, au club où, vers le soir, le tennis fait fureur, il faut éviter toute conversation qui, de près ou de loin, pourrait toucher à la politique. Et