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étendent des toiles ou des nattes jusqu’à se toucher d’un côté à l’autre. Là, se manifeste une grande intensité de vie ; des restaurans en plein air, des étalages de toutes sortes groupent les passans ; nous arrivons à la porte de la ville tatare, tout aussi imposante que les précédentes et nous voici dans la ville, centre de l’Empire. Devant le portique des palais impériaux, de larges dalles servent de dortoir aux mendians ; les chemins sont défoncés, la poussière est aveuglante ; nous longeons des murailles intérieures ; voici de grands jardins entourés de murs ; aux drapeaux qui flottent sur les mâts de pavillon, on reconnaît les légations européennes ; nous franchissons des ponts en ruine dont l’architecture a de beaux restes, nous passons sous des arcs de triomphe en bois, peints aux couleurs jadis éclatantes ; mais tout cela est tellement couvert de poussière qu’on n’y fait guère attention.

Les sentiers qui bordent les maisons sont parfois à deux mètres plus haut que le passage des voitures, vastes ornières creusées depuis des siècles ; sur le pas de leurs portes, les habitans, sans pudeur, s’accroupissent en vue des passans, d’autres tâchent d’abattre la poussière de la rue en l’arrosant d’un liquide dont l’odeur, hélas ! ne peut laisser aucun doute sur son origine. Et nous marchons toujours ; cette fois, le centre de la rue est à deux mètres plus haut que les portes des maisons qui la bordent ; le mafou injurie d’un air de connaissance les gens qui ne se rangent pas assez vite ; j’aperçois le drapeau belge, nous pénétrons dans une cour en couloir et mes porteurs s’arrêtent. La sensation de dégoût qui a fini par éteindre toute curiosité est agréablement distraite par la vue d’un jardin orné de vases et de fleurs. Il y a des arbres, de la verdure, des chemins balayés. La légation est une vieille maison chinoise aménagée pour des Européens. Un hall tout en longueur, où l’on pénètre de plain-pied, est encombré de bibelots, d’étoffes, de peaux de tigre, de porcelaines, de bronzes et de cuivres. Çà et là une jolie gravure, un tableau, reposent de cette profusion d’Extrême-Orient. L’appartement mis à ma disposition est propre, avec de jolies choses, de petites attentions de papiers à lettre et de menus objets sur les tables. On se sent un peu chez soi, heureux de reposer ses yeux sur quelque chose d’avenant, qui n’est pas cette horreur de désordre et d’incurie qui vous a écœuré tout le long de la route. Un tub, le whisky traditionnel avec du soda glacé, et l’on a vite oublié, dans une conversation d’amis, les ennuis de la route.