Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup à désirer, cette route par mer. Encore bien loin de la côte, nous franchissons, non sans peine, la barre du Péï-ho. L’hélice racle le fond, on la sent travailler dans la vase et, péniblement, en faisant effort de toute vapeur, nous laissons derrière nous une longue traînée jaunâtre.

Bientôt nous pénétrons dans la rivière, défendue par d’importans ouvrages en terre ; au loin, à perte de vue, des marais salans ; tout contre nous, le village de Takou, ramassis de maisons en terre glaise où grouille une étrange population jaune. Le chemin de fer est près du rivage, et, en moins d’une heure, nous sommes à Tien-Tsin. Des pourparlers m’y retinrent plusieurs jours. C’est une grande ville chinoise, extrêmement peuplée, très remuante, et d’ailleurs pleine d’intérêt pour qui n’est pas encore blasé sur les curiosités du Céleste Empire. La concession européenne, beaucoup moins grandiose qu’à Shang-Haï, est cependant bien ordonnée ; il y a des rues macadamisées, un square, des magasins d’approvisionnemens, toutes choses qui d’abord paraissent très simples, mais qu’après avoir habité Pékin, j’ai trouvées, au retour, admirables.

La race est assez belle, dans cette province de Pe-tchi-li, et, en regardant, dans les rues étroites de la ville chinoise, ces hommes à la face rasée, à la tresse roulée sur la tête de façon à simuler une chevelure à peu près normale, avec leurs grandes tuniques d’étoffes légères qui pouvaient ressembler à des toges, je me demandais si je n’avais pas devant moi un tableau de ce qu’était une ville de l’antiquité grecque ou romaine. Pas de voitures, mais des chars traînés à bras et des brouettes, ou bien des litières précédées et suivies d’hommes à cheval, faisant les importans ; dans les chaises à porteurs, des mandarins à l’air fatigué ou dédaigneux, des femmes peintes à outrance, mais ayant une certaine allure de patriciennes ignorantes de la foule ; celle-ci, remuante, curieuse, demi-nue, recevant des coups ou se laissant invectiver par les serviteurs des gens de qualité ; puis, des parasols et des éventails dans toutes les mains, de petits pieds contournés, des soldats avec des arcs ; oui, des arcs et des flèches ! Dans la ville, défendue par de gros murs, des rues pavées à larges dalles, des temples, des palais de mandarins, à grands portiques précédés d’une esplanade, des cris de tout genre, des appels en idiomes inconnus, des odeurs de tabac, d’opium, de cuisines exotiques.

Dans nos riksiaws, nous passions au milieu de tout cela,