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lord Palmerston, qu’elle subisse son sort ! Notre rôle est d’observer la plus stricte neutralité et de faire en sorte que l’Europe adopte la même conduite. »

Les correspondances du prince Albert reflètent les soucis que lui causait la conduite de François-Joseph. Il avait reproché naguère à l’Autriche de ne pas profiter de son avance, de ressembler à un fusil chargé qui ne voulait pas partir ; il trouvait aujourd’hui que le fusil était parti inopportunément. « Elle a fini, écrivait-il à son oncle, par jouer le jeu de ses ennemies. C’est une grave erreur qu’elle a commise et qui cause ici une vive indignation. La voici de nouveau l’oppresseur de l’Italie, portant atteinte aux droits des peuples. »

Les conseils que prodiguaient, dans les coulisses, les trois princes de la maison de Cobourg étaient méconnus ; la guerre était déchaînée. Où s’arrêterait-elle ? L’Empereur en avait remontré aux plus habiles ; il avait su tourner tous les obstacles. L’Europe, qui devait l’arrêter et au besoin se coaliser contre lui, était forcée de le laisser faire et de l’approuver en quelque sorte. S’il remportait d’éclatantes victoires, qu’exigerait-il ? Les traités de 1815 ne seraient-ils pas déchirés, la Belgique envahie, l’Angleterre menacée d’une invasion ? Il est vrai qu’il déclarait solennellement que les circonscriptions territoriales seraient maintenues, et que la guerre serait « localisée, » mais « localiser la guerre » n’était qu’une locution nouvelle dans la langue diplomatique, et non une garantie[1]. Heureusement qu’un ministère tory était au pouvoir. Lord Derby, en annonçant la neutralité de l’Angleterre, avait eu soin d’ajouter qu’elle serait armée sur terre et sur mer, pour lui permettre d’intervenir, à son gré, partout où ses intérêts seraient compromis. Mais les élections étaient proches et la majorité disloquée ; on ne pouvait heurter de front le sentiment public, qui revenait à l’Italie après s’en être détourné. Lord Malmesbury, qui avait dit à M. de Beust, lors de son récent séjour à Londres, que si la Prusse devait concentrer ses forces sur le Rhin,

  1. « L’Empereur et l’Impératrice ont écrit à la Reine, disait le Prince dans une lettre à Stockmar, à l’occasion de l’anniversaire de sa naissante : pour la tranquilliser, ils parlent de leur désir de localiser la guerre ; localiser est le mot d’ordre franco-russe aujourd’hui : on espère ainsi tranquilliser l’Europe et en finir plus vite avec l’Autriche. »
    C’est ce que Napoléon Ier écrivait aussi au prince Eugène en Italie en 1805, du camp de Boulogne : « Je vais donner une leçon aux Autrichiens, disait-il, et après je reviendrai à mes projets. » Il n’est pas bon d’ignorer complètement l’histoire.