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pût lui appliquer. » Les ministres anglais étaient irrités de l’excessive subtilité de M. de Cavour, de sa fécondité à trouver des prétextes pour se soustraire à leurs conseils et faire échouer leurs combinaisons.

Jamais apôtre n’avait prêché la paix avec plus de ferveur et de persévérance que lord Malmesbury. Dès qu’il eut pénétré les desseins de l’Empereur, il s’était appliqué à le prémunir contre une politique de casse-cou par de pressans conseils qu’autorisaient leurs anciennes relations. Des avis, il avait passé aux admonestations, et des admonestations aux menaces. Un instant, au retour de lord Cowley de Vienne, il avait cru la paix assurée. Mais aussitôt la Russie, avec un perfide à-propos, s’était jetée à la traverse des négociations, en réclamant un congrès. Bien que tout fût remis en question, il ne s’était pas découragé ; il avait, après un instant d’humeur, repris les pourparlers plus ardemment que jamais et, cette fois encore, au moment où l’on croyait aboutir, la fatalité s’en mêlait. Ce n’était plus à Paris, ni même à Turin, que sa diplomatie était éconduite, mais à Vienne, par celui des gouvernemens européens dont les intérêts lui tenaient le plus à cœur. Cependant il espérait encore. Il lui paraissait impossible que l’Autriche pût assumer le rôle de provocatrice. Il proposa comme dernière planche de salut le désarmement général avec l’admission de tous les États italiens au congrès, la Sardaigne y compris. La France non seulement ne repoussa pas la proposition, mais elle promit d’exercer une forte pression sur le gouvernement sarde pour la lui faire accepter.

C’était beaucoup demander à M. de Cavour ; seul représentant de la politique nationale, il se fût trouvé au congrès avec les représentai des autres gouvernemens italiens alliés à l’Autriche et peu enclins aux réformes. « Nous ne désarmerons pas, écrivait-il au prince Napoléon ; mieux vaut tomber vaincus les armes à la main que de nous perdre misérablement dans l’anarchie, ou de nous voir réduits au rôle du roi de Naples. Nous avons une force morale qui vaut une armée ; si nous la perdons, rien ne nous la rendra. » Cavour se tenait trop volontiers pour déshonoré, dès qu’il se trouvait en face d’une invincible résistance. Un homme d’État peut être déçu, mais il n’est pas déshonoré parce qu’engagé dans une entreprise périlleuse et résolu à troubler la paix pour satisfaire ses ambitions, il se voit forcé de reculer devant des forces supérieures. Ses désespoirs, du reste, n’étaient