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récriminations ? La concordance de sa politique avec celle de l’Angleterre l’avait autorisée à escompter l’appui du cabinet de Londres, et lord Malmesbury s’attachait aux basques du comte de Buol pour entraver ses mouvemens.

Du moins l’Allemagne, à en juger par ses démonstrations bruyantes, ne méconnaîtrait pas sa vieille confraternité. Mais les clameurs patriotiques ne sont pas toujours suivies d’effet ; la Prusse jouait peut-être un double jeu, et, en tout cas, la Russie vindicative la tenait en respect. Toutes ces considérations auraient suffi à troubler un politique froid, sensé, maître de lui. Or le comte de Buol était un ministre de courte vue, irritable et hautain. Il subissait l’influence du parti militaire, impatient d’en finir avec d’injurieuses provocations ; le souverain, d’ailleurs, partageait les sentimens de son armée. On lui prêtait d’amers propos. On racontait qu’en parlant de M. de Cavour, François-Joseph s’était écrié : « Que le roquet y prenne garde ! Je jetterai cent mille hommes en Piémont, je resterai trois jours à Turin, et j’y laisserai ma marque. » Les états-majors renchérissaient sur la parole impériale en déclarant que Turin serait la première étape vers Paris.

Tandis que l’Autriche murmurait en montrant le poing, Napoléon III multipliait ses déclarations pacifiques et, répudiant toute arrière-pensée de conquête, il allait jusqu’à déclarer spontanément que les délimitations territoriales étaient hors de cause. Ce n’était qu’en affirmant son respect pour les traités et en proclamant tout haut son désintéressement qu’il pouvait tranquilliser, paralyser l’Allemagne, et s’assurer la neutralité de l’Angleterre. Que ne procéda-t-il avec la même habileté en 1870 !

Le 18 avril, un débat solennel eut lieu à Westminster. Lord Malmesbury, interrogé sur les chances de paix, déclara que le désarmement était le seul point sur lequel il y eût désaccord, l’Autriche le réclamant avant le congrès et la France souhaitant qu’il fût l’objet de ses premières délibérations. Tout espoir, disait-il, n’était pas perdu encore ; mais, si la guerre venait à éclater, l’Angleterre se verrait forcée de garder une neutralité armée pour défendre ses intérêts et intervenir, si le conflit, au lieu d’être circonscrit à l’Italie, s’étendait au-delà. M. Disraeli tint le même langage à la Chambre des communes, en y ajoutant des commentaires blessans pour la Sardaigne : « Sa conduite, disait-il, était tout au moins ambiguë, et c’était la qualification la moins sévère qu’on