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rompu l’entretien pour courir chez l’Empereur et lui annoncer cette bonne nouvelle, c’était pour ne pas trop mêler à des affaires aussi scabreuses un homme qui « parlait à cinquante journaux. » Il laissa à M. Nigra[1] le soin de continuer avec Szarvady les pourparlers hongrois que, de longue date, il avait personnellement ouverts avec le général Klapka.

Kossuth, dans ses Souvenirs, parle des relations nouées par le général avec la cour de Turin. « Klapka, dit-il, est venu me voir à Londres le 17 janvier ; il m’a dit que la guerre était certaine, qu’il avait eu des entretiens à Paris avec le prince Napoléon et à Turin avec Cavour, qu’il avait également conféré pendant deux heures avec Victor-Emmanuel, et que celui-ci lui avait dit qu’il était décidé à faire la guerre coûte que coûte, au risque de jouer sa couronne ; qu’il le devait aux espérances des Italiens, à la mémoire de son père, et à la haine de l’Autriche dans laquelle il avait été élevé.

On a vu, dans tous les temps et sous toutes les latitudes, des ministres tramer des complots, fomenter des insurrections pour diviser, affaiblir leurs adversaires ; mais on n’avait pas vu encore des souverains conférer avec des agitateurs, leur accorder des audiences et traiter avec eux de puissance à puissance. C’est à l’insu de la reine Victoria que lord Palmerston a conspiré contre les trônes. Alexandre II ne s’est pas immiscé dans les menées panslavistes du prince Gortchakof en Orient ; le roi Guillaume 1er a gardé les mains blanches, tandis que M. de Bismarck, lui aussi, recrutait des légions hongroises, ou bien que sa diplomatie à Florence pactisait ouvertement avec Garibaldi et secrètement avec Mazzini ; que ses émissaires en Espagne s’appliquaient, en 1868, à renverser la reine Isabelle ; qu’enfin sa police nouait à Paris des intelligences avec les gens de la Commune.

Rien n’est plus étrange que ces contacts clandestins de Victor-Emmanuel et de Napoléon III avec la révolution. Il semblerait

  1. Note des Souvenirs d’exil. — « Le 6 janvier, Szarvady adressa à Kossuth un rapport sur son entretien avec M. N…, chef du cabinet du comte de Cavour en mission à Paris. M. X… lui avait assuré que Cavour désirait le concours de l’émigration hongroise, et, M. Szarvady ayant, écrit-il, appelé son attention sur ce fait qu’ils s’adresseraient en vain à l’émigration, à moins de s’entendre avec Kossuth, M. X… déclara que lui aussi en était convaincu, mais que Cavour craignait que Kossuth, en raison de ses relations avec Mazzini, ne voulût pas se mettre en rapport avec lui. — Szarvady ayant certifié que Kossuth ne se laisserait détourner par rien, M. N… lui demanda s’il serait disposé à se rendre à Turin pour conférer avec Cavour. — Szarvady répondit qu’il en référerait à Kossuth. »