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Bourgogne s’entendait avec ses dames pour lui faire des plaisanteries continuelles. Tantôt, sachant sa poltronnerie, elle faisait disposer des pétards, tout le long de l’allée qui allait du château de Marly à la Perspective où elle logeait, et se divertissait à voir à la fois sa frayeur et sa furie quand, les pétards ayant commencé à éclater de tous les côtés, ses porteurs, à qui on avait donné le mot, s’enfuyaient, la laissant dans sa chaise. Tantôt, en plein hiver, elle pénétrait avec ses dames dans la chambre où la nymphe dormait, et pendant une demi-heure l’accablait de boules de neige, inondant ainsi d’eau glacée son lit et sa chambre. « Il y avait de quoi la faire crever, » dit Saint-Simon qui rapporte la chose. L’excuse de ces plaisanteries un peu rudes, c’est qu’après avoir boudé quelque temps, la « furie blonde » venait « ramper aux reproches, pleurer, demander pardon d’avoir boudé et prier qu’on ne cessât plus de s’amuser avec elle[1]. »

Enfin, puisqu’il faut tout dire, avouons qu’elle était aussi un peu mobile et changeante, sinon dans ses affections du moins dans ses engouemens. « Son amitié, dit encore Saint-Simon, sui-voit son commerce, ses habitudes, son amusement, son besoin… elle-même l’avouait avec une grâce et une naïveté qui rendoit cet étrange défaut presque supportable en elle[2]. » Mais ce qu’elle pouvait apporter de caprice dans ses relations en rehaussait le prix aux yeux d’une cour idolâtre, et n’enlevait rien à sa grâce. C’est par la grâce en effet :


… la grâce plus belle encor que la beauté,


qu’elle a séduit non seulement ses contemporains mais la postérité. Il s’en faut que la postérité soit aussi équitable qu’on le prétend. Elle est au contraire un peu femme, plus sensible à l’éclat qu’au mérite, se prenant moins volontiers à la vertu qu’au charme. Aussi a-t-elle toujours regardé d’un œil favorable l’aimable et légère duchesse de Bourgogne, tandis qu’elle témoigne moins d’attrait pour le prince austère et pieux qui fut le compagnon de sa vie. C’est une raison de plus pour rendre hommage aux qualités solides dont il offrit à la Cour l’édifiant spectacle. Nous le ferons dans une très prochaine étude.


HAUSSONVILLE.

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, I. X, p. 373.
  2. Saint-Simon, édition Chéruel de 1857, t. X, p. 90.