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larmes, en disant que c’était lui faire affront de ne pas comprendre dans cette promotion celui qui avait été le négociateur de son mariage ; et le Roi, pour ne lui point causer de peine, ajournait la promotion jusqu’à l’année suivante, où Tessé bénéficiait d’une fournée de douze maréchaux. Elle prenait encore des familiarités d’un autre genre. Il faut l’assertion formelle de Saint-Simon pour que nous puissions croire à l’étrange histoire de la grande Nanon, la femme de chambre de Mme de Maintenon, venant lui administrer sous ses jupes le plus intime des remèdes, en présence du Roi et de Mme de Maintenon qui, longtemps, ne s’aperçurent de rien et finirent par trouver la chose très drôle. Elle se permettait aussi des saillies qui, venant d’une moins favorisée, auraient paru le comble de l’irrévérence : « Ma tante, dit-elle un jour, il faut convenir qu’en Angleterre, les reines gouvernent mieux que les rois, et savez-vous bien pourquoi, ma tante ? » et toujours sautant et gambadant : « C’est que sous les rois ce sont les femmes qui gouvernent et ce sont les hommes sous les reines. » — « L’admirable, ajoute Saint-Simon, c’est qu’ils en rirent tous les deux, et qu’ils trouvèrent qu’elle avoit raison[1]. » D’une autre bouche, la plaisanterie auroit pu sembler sanglante, mais le Roi et Mme de Maintenon avaient raison de rire, car il y a de telles plaisanteries qu’on fait à ceux-là seuls qu’on aime et dont on est sûr d’être aimée.

A sa famille savoyarde, elle était demeurée également très attachée : trop même, devait-on dire un jour, et nous aurons à la défendre contre cette accusation. Mais nous ne pensons pas qu’on lui fasse reproche des sentimens de vive reconnaissance qu’elle avait conservés pour sa vieille grand’mère et qu’elle lui témoignait dans chacune de ses lettres. Ces lettres, dont nous avons déjà cité plusieurs, ne sont ni fréquentes, ni longues, et de leur rareté comme de leur brièveté, elle donne toujours la même raison. « Je m’en vais au bal, » dit-elle dans l’une, en la terminant abruptement. — « Je cours un peu en masque depuis quelques jours, dit-elle dans une autre, et dormant fort tard, j’ai peu de temps de reste. » Mais, craignant que ces longs silences ne donnassent à supposer quelque relâchement dans sa tendresse, elle s’appliquait à en varier l’expression par des tours ingénieux. « Je vous conjure, ma chère grand’maman, écrivait-elle, de ne point croire que je vous en aime moins quand je ne vous écris pas bien

  1. Saint-Simon, édit. Chéruel de 1857, t. X, p. 85.