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yeux depuis qu’elle est obligée de donner des instructions pour l’aménagement intérieur de ce pavillon. « Ma mère vous dira sans doute, écrit-elle à Madame Royale[1], ce qui m’occupe présentement et vous prendrez part à ma joie, mais on a bien des affaires quand on veut bastir et meubler une maison. Adieu, ma chère grand’maman. Préparez-vous à entendre parler plus d’une fois de cette maison-là. » Et dans une autre lettre : « On travaille à ma Ménagerie. Le Roi a ordonné à Mansart de ne rien épargner. Jugez, ma chère grand’maman, ce que ce sera, mais je ne le verrai qu’à mon retour de Fontainebleau. Il est vrai que les bontés du Roy pour moy sont admirables, mais je l’aime bien aussi. »

Ce fut Mansart, en effet, qui disposa pour la duchesse de Bourgogne un appartement dans l’intérieur de cette Ménagerie, ainsi nommée parce que Colbert y avait rassemblé un certain nombre d’oiseaux et d’animaux rares. La duchesse de Bourgogne prit l’habitude de s’y rendre de plus en plus fréquemment, mais toujours seule avec ses dames du palais ou avec quelques-unes de ces jeunes femmes de la Cour qu’elle désignait pour être de ses plaisirs. Là elle pouvait s’affranchir de cette pesante étiquette de Versailles dont le fardeau devait sembler si lourd à ses jeunes épaules, et se croire reportée à quelques années en arrière, aux temps où, encore tout enfant, elle jouait, sous les yeux indulgens de sa mère, dans les jardins de la Vigna della Regina. Là elle jouait encore, et à des jeux plus innocens que le lansquenet, peut-être à colin-maillard, le jeu favori de son enfance. Elle offrait des collations à ses amies. La petite bande s’amusait à fabriquer des gâteaux avec elle, après quoi on se divertissait à monter à âne. La Ménagerie était dans sa vie ce que devait être plus tard le petit Trianon dans la vie de Marie-Antoinette, mais un Trianon où les hommes n’étaient point admis et qui ne prêtait point à la médisance.

Les plaisirs de la Cour, un peu solennels et toujours arrangés d’avance, ne suffisaient point en effet à la duchesse de Bourgogne. Dans ses amusemens, il fallait qu’elle apportât de la fantaisie et de l’imprévu. Tantôt, à Trianon, elle venait le soir, sous les fenêtres du Roi, lui donner une sérénade avec des trompettes et des hautbois et ne le laissait s’endormir que fort tard. Tantôt, par les belles nuits d’été, comme elle supportait mal la chaleur, elle improvisait des promenades nocturnes, en gondole sur le grand canal, ou

  1. Archives de Turin.