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y tenait jeu cependant pour sa belle-fille. On nommait ces petites réunions intimes les parvulos de Meudon.

Le jeu était en effet la passion dominante de la duchesse de Bourgogne, et, dès le lendemain de son mariage, elle s’y était livrée avec autant d’ardeur qu’à la danse. Reconnaissons qu’elle avait plus d’une excuse. Nous avons déjà dit la place importante que le jeu avait pris depuis quelques années dans les divertissemens de la Cour. Il semble que Louis XIV se fût appliqué à favoriser cette triste passion, et peut-être y entrait-il en effet de sa part un peu de politique. Toujours il avait tenu à voir autour de lui une nombreuse réunion de courtisans. Comme, durant les années un peu sombres qui avaient précédé le mariage de la duchesse de Bourgogne, il n’offrait pas grands divertissemens aux habitués de Versailles, sans doute il avait senti qu’il fallait les laisser s’adonner aux divers jeux de hasard, dont l’attraction pouvait seule remplacer les brillantes fêtes d’autrefois. Les joueurs obtenaient même la faveur de certaines dispenses d’étiquette. Il leur était permis de ne pas se lever quand un prince, quand le Roi lui-même, passaient dans les galeries où des tables de jeu étaient installées à l’abri de paravens. Ainsi encouragés, tous ceux qui avaient entrée dans le palais s’adonnaient au jeu avec furie, depuis les femmes les mieux nées, dont quelques-unes ne quittaient pas les cartes de la journée, jusqu’aux frotteurs, qu’on laissait jouer aux dames dans les antichambres. Mais le jeu qui faisait fureur, c’était le lansquenet, nouvellement mis à la mode, et, de jeu de laquais, transformé en jeu de cour. Les princesses filles du Roi étaient les plus ardentes à s’y adonner. Le brelan était aussi fort en honneur. Il y avait chaque jour table de brelan installée chez la princesse de Conti, et Monseigneur y passait ses journées, jouant fort gros jeu. Au brelan également la duchesse de Bourbon avait perdu 12 000 pistoles, et, se trouvant dans l’embarras pour les payer, elle s’était adressée à Mme de Maintenon, qui parla pour elle au Roi. Avec beaucoup de bonté, le Roi paya ses dettes, sans en rien dire à son mari, et sans vouloir accepter qu’elle l’en remerciât. Il se bornait à lui conseiller de ne plus faire de dettes à l’avenir[1].

Comment, encouragée par ces exemples et cette indulgence, la duchesse de Bourgogne ne se serait-elle pas adonnée au jeu, ainsi que les autres princesses ? Elle n’y manqua pas. L’hombre, le

  1. Dangeau, t. VII, p. 311.