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bien rempli ces deux rôles. Quand on a de l’esprit infiniment, on réussit dans tout ce que l’on veut se donner la peine d’entreprendre. A l’égard des autres acteurs, qui, ne s’étant point encore donné le divertissement de représenter des pièces de théâtre, ignoroient eux-mêmes s’ils avoient quelque talent pour cela, tous ceux qui ont eu le plaisir de les voir jouer ont dit hautement que les meilleurs comédiens n’auroient pu jouer avec plus d’intelligence et de feu, ni faire répandre plus de larmes. » Cependant, en ce qui concerne la duchesse de Bourgogne, l’éloge est moins complet. « Mme la duchesse de Bourgogne a joué Josabel (sic) avec toute la grâce et le bon sens imaginables, et, quoique son rang pût lui permettre de faire voir plus de hardiesse qu’une autre, celle qu’elle a fait paroître, seulement pour marquer qu’elle étoit maîtresse de son rôle, a toujours été mêlée d’une certaine timidité que l’on doit trouver plutôt modestie que crainte. Les habits de cette princesse étoient d’une grande magnificence. Cependant on peut dire que sa personne ornoit encore plus le théâtre que la richesse de ses habits[1]. »

De ces réticences et de ces périphrases, comme du silence absolu de Dangeau, on peut conclure que la Princesse fut fort intimidée. Elle dut se tirer gauchement d’un rôle qui, pour avoir été ambitionné par elle, n’en était pas moins au-dessus de ses forces. Soit médiocrité des acteurs, soit mauvais goût de ce public de cour, Athalie, dont les représentations alternèrent avec Absalon pendant toute la durée du mois de février, paraît avoir eu moins de succès. Duché l’emportait sur Racine. A toutes ces représentations le Roi assistait régulièrement. Mais il ne faisait point mettre son fauteuil en face de la scène et en avant des autres spectateurs, comme aux comédies ordinaires. Il se plaçait au contraire près de la porte qui conduisait dans la chambre à coucher de Mme de Maintenon, afin de pouvoir s’y retirer pour travailler, quand un de ses ministres, Chamillart ou Ponchartrain, se présentait. Les plaisirs n’étaient jamais pour Louis XIV qu’un délassement, et les affaires passaient toujours avant tout.

Ces représentations d’Athalie marquent au reste la fin de la carrière dramatique de la duchesse de Bourgogne. Mme de Maintenon s’était donné beaucoup de peine pour organiser ces représentations, comme autrefois celles de Saint-Cyr. Elle y voyait un

  1. Mercure de France de février 1702, p. 381 à. 385.