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personne ne l’osât faire le premier, d’en donner, moi, l’exemple[1]. » Il en fut de même en avril 1705, lorsque le duc et la duchesse de Bourgogne perdirent leur premier enfant, le duc de Bretagne. L’affliction avait été grande, la naissance de ce futur héritier du trône ayant été longtemps attendue. Mais, quelques jours après, une loterie était organisée chez Mme de Maintenon pour égayer la jeune mère affligée. La semaine suivante, le duc et la duchesse de Bourgogne partaient de Marly, avec beaucoup de dames, pour aller surprendre dans sa propriété de l’Etang le ministre Chamillart. « On y joua beaucoup, et, sur les sept heures, on leur servit une collation aussi magnifique que si on les avait attendus[2]. » Il en fut de même à Fontainebleau, le lendemain du jour où parvint la nouvelle de la désastreuse bataille d’Hochstedt. Le Roi sentit vivement ce premier revers. Il adressa avec bonté des paroles de consolation aux parens de ceux qui avaient succombé dans cette journée néfaste. Mais il mit son application à ne témoigner d’aucun trouble, et, le lendemain, il alla comme à son ordinaire courre le cerf ; la semaine suivante, il devait y avoir des fêtes, qui ne furent point décommandées, entre autres une grande illumination au château de Meudon, et, le jour d’après, le duc et la duchesse de Bourgogne se rendaient à Paris pour assister au feu d’artifice que la ville leur offrait sur la Seine, devant les galeries du Louvre.

L’année calamiteuse de Ramillies et de Turin vit néanmoins plusieurs bals de Cour. A une mascarade qui eut lieu à Marly, Louis XIV exigea même que « tout ce qu’il y avoit de plus grave et de plus âgé » assistât en costume. Pour donner lui-même l’exemple, il revêtit par-dessus son habit une robe de gaze, et, ainsi accoutré, demeura au bal une partie de la nuit[3]. A ses yeux, suspendre les fêtes de la Cour, c’eût été s’avouer vaincu. Il tenait au contraire, au témoignage de Dangeau, à ne laisser apparaître « nul changement à sa vie, nulle altération dans son visage ni dans ses discours[4]. » Cette impassibilité apparente faisait partie chez lui d’un système politique. Il fallut le désastre d’Oudenarde, la famine de 1709, l’invasion imminente, pour changer quelque chose à l’aspect de Versailles et mettre fin aux

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. VIII, p. 330.
  2. Dangeau, t. X, p. 317.
  3. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIII, p. 22.
  4. Dangeau, t. X, p. 103.