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rapporte ce trait, ajoute : « Mme de Saint-Simon, qui suivit toujours Mme la duchesse de Bourgogne, et c’étoit grande faveur, et moi, fûmes les dernières trois semaines sans voir le jour… Je fus ravi de voir arriver les Cendres, et j’en demeurai un jour ou deux étourdi, et Mme de Saint-Simon, à bout, ne put fournir le mardi gras[1]. »

Plus robuste que Mme de Saint-Simon, au moins en apparence, la duchesse de Bourgogne trouvait, au contraire, que le carnaval avait été trop court, et elle déclara que l’année prochaine elle le ferait commencer au mois d’octobre[2]. Ainsi prévenu, l’archevêque de Paris, qui était le cardinal de Noailles, essaya d’intervenir, et fit des observations à Mme de Maintenon. « J’ai reçu, écrivait-elle au mois de décembre, une lettre de notre cardinal, qui a le courage de me gronder de Rome sur le carnaval que Mme la duchesse de Bourgogne passa il y a un an[3]. » Mais, soit que Mme de Maintenon n’eût pas osé faire part de cette lettre, soit que la Princesse n’en tînt pas compte, le cardinal en fut pour sa gronderie. Le carnaval de 1701 ressembla fort au carnaval de 1700, peut-être avec un peu moins d’excès cependant, et il en fut de même les années suivantes.

Ce serait rendre notre récit singulièrement monotone que de raconter toutes les fêtes auxquelles la duchesse de Bourgogne prit part durant ces années. Ni les deuils de la famille royale ni les malheurs publics n’interrompaient le train de ces fêtes. Louis XIV n’aimait pas qu’on parût triste à la Cour ; lors même qu’il était en proie à un chagrin véritable, il ne voulait pas voir autour de lui des visages assombris. Le 9 juin 1701, Monsieur mourait subitement. Le Roi fut sincèrement ému de la mort de ce frère, son cadet de deux ans seulement, avec lequel il avait toujours bien vécu, jusqu’à une querelle toute récente, qui n’avait point encore été suivie d’une réconciliation. Il n’essaya pas de dissimuler sa douleur, et la témoigna librement par ses larmes. Le lendemain 10, au sortir du dîner, le duc de Bourgogne demanda au duc de Montfort s’il voulait jouer au brelan. « Au brelan ! s’écria Montfort dans un étonnement extrême. Vous n’y songez donc pas ! Monsieur est encore tout chaud. — Pardonnez-moi, répondit le prince, j’y songe fort bien, mais le Roi, ne voulant pas qu’on s’ennuie à Marly, m’a ordonné de faire jouer tout le monde, et, de peur que

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. VII, p. 63.
  2. Sourches, t. V. p. 235.
  3. Correspondance générale, t. IV, p. 359.