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I

Après avoir constaté avec regret, dans ses Mémoires inédits[1], que le rapprochement du duc et de la duchesse de Bourgogne ne donna lieu à aucune fête, le baron de Breteuil ajoutait, quelques mois après, cette note en marge : « Il y eut tant de bals, de fêtes et de divertissemens pendant tout le carnaval de cette année, que Mme de Bourgogne a réparé avec usure le peu d’appareil de la soirée dont il est parlé dans cette lettre. » En effet, on n’avait pas vu depuis longtemps à la Cour carnaval aussi gai que celui de l’année 1700. L’aube de ce XVIIIe siècle, qui devait si tragiquement finir, brillait d’un éclat auprès duquel semblaient pâlir les plus belles années de celui qu’on aura toujours raison d’appeler le grand siècle. Les fêtes succédaient aux fêtes, et la duchesse de Bourgogne en était toujours la reine. Débarrassée des lisières qui jusqu’alors avaient entravé ses pas, elle pouvait enfin s’abandonner sans contrainte à ce goût passionné du plaisir qu’on semblait s’être appliqué à développer chez elle et dans lequel on l’encourageait encore. Au mois de février 1700, Coulanges, le vieil ami de Mme de Sévigné, écrivait à Mme de Grignan : « Il n’est pas que vous ne sachiez, Madame, tous les déchaînemens où l’on est pour les plaisirs. Le Roi veut que Mme la duchesse de Bourgogne fasse sa volonté depuis le matin jusqu’au soir, et c’est assez pour qu’elle s’en donne à cœur-joie. Ce ne sont donc plus que voyages de Marly, de Meudon, qu’allées et venues à Paris pour les opéras, que bals, que mascarades et que seigneurs qui, pour ainsi dire, mettent couteaux sur table pour s’attirer les bonnes grâces de la jeune princesse. Les dames qui entrent dans les plaisirs ont besoin de leur côté d’être bien en leurs affaires : la dépense est quadruplée ; on n’emploie pas pour les mascarades des étoffes de moins de cent et cent cinquante francs l’aune, et quand, par malheur, quelqu’une est obligée de faire paroître deux fois un même habit, on dit qu’on voit bien qu’elle n’est venue à Paris que pour s’habiller à la friperie[2]. » De son côté, Saint-Simon dit dans ses Mémoires : « Dès avant la Chandeleur, ce ne

  1. Bibliothèque de l’Arsenal. Mémoires du baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs. N° 3860. T. de 1699 à 1701, p. 230.
  2. Les Grands écrivains de la France. Lettres de Mme de Sévigné, de sa famille et de ses amis, t. X, p. 446.