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le poète Prudence et saint Paulin de Noie ont fixé désormais le type[1].

Le mithriacisme, encore dans toute sa faveur à la fin du IVe siècle, n’est plus qu’un souvenir au milieu du Ve. Il sombra tout entier dans le naufrage du paganisme. Peut-être serait-il possible de suivre à travers le moyen âge les traces qu’il a laissées. On en trouverait des vestiges dans quelques sectes obscures et aussi dans les spéculations astrologiques de théologiens scolastiques, qui s’efforcent de découvrir l’explication des mystères chrétiens dans les phénomènes du ciel. L’iconographie religieuse garda longtemps, à son insu, quelques-uns des emblèmes mithriaques. Sur les sarcophages et les portails de nos vieilles églises, on peut voir encore figurer les sept planètes, le soleil et la lune avec la face humaine, le premier même coiffé du pileus de Mithra et de la couronne héliaque. C’est là tout ce qui reste d’un culte qui faillit conquérir le monde romain et disputer au christianisme l’empire des âmes.


X

Il peut être intéressant de résumer ici les causes de cette défaite.

Le mithriacisme, préoccupé de pureté au point que Tertullien vante à ses coreligionnaires la chasteté des vierges et la continence des prêtres mithriaques, n’a pas au même degré l’amour du prochain, la charité. « Celui-là est un homme du mal, lit-on dans le Yaçna, qui est bon pour l’homme du mal ; celui-là est un vrai mazdéen à qui est cher le vrai mazdéen. » Le prochain est exclusivement pour lui l’homme de sa loi. Faire le mal à ses ennemis est, à la lettre, une obligation religieuse. Sans doute, au contact de la civilisation romaine et surtout des doctrines philosophiques du Portique, cet égoïsme farouche s’atténua sensiblement. Mais, chez les stoïciens eux-mêmes, la charité du genre humain n’est pas l’amour absolu de son semblable, elle est un fruit de la raison ; elle dérive du principe de l’harmonie du cosmos, de la correspondance et de la dépendance de toutes les pièces de cet univers, du spectacle de notre commune misère, elle descend du cerveau dans le cœur ; elle ne s’épanche pas spontanément comme une source naturelle d’un foyer brûlant d’amour.

  1. Voyez sur cette question l’abbé Duchesne : les Origines du culte chrétien, ch. VIII, § 5. Lire aussi les six Sermons de saint Ambroise sur la Nativité.