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qu’il réclamait ; ni la philosophie grecque, qui prit sous les Antonins quelques-unes des formes et des allures d’une religion, et prétendit à la direction des consciences, n’était capable d’agir sur des imaginations avides de mythes et de symboles, sur des cœurs affamés de consolation et d’espérance.

Le peuple entendait d’autres voix, allait à d’autres maîtres. Jamais le monde n’a vu pareil débordement de superstition, pareille orgie de surnaturel, jamais tant de devins, de charlatans, d’astrologues, de vendeurs de recettes pieuses et d’amulettes. L’espace se peuple de génies et de démons, qui interviennent pour faire de la vie de l’homme un miracle continuel. D’extravagantes chimères hantent les cerveaux les plus robustes et les plus lucides. Mais cette folie même est le signe d’un travail extérieur, d’une fermentation spirituelle, d’une attente. Des préoccupations nouvelles assiègent les esprits ; des mots nouveaux circulent, qu’on entend dans les réunions secrètes, dans les associations des humbles, et qu’on retrouve sur la pierre des inscriptions. L’âme est en proie au tourment de l’inconnu et de l’au-delà ; elle réclame un sauveur, elle aspire au salut ; elle souffre de la tare intime du péché : non de cette amertume que laisse après elle la faute commise, mais de cette souillure radicale et foncière qui vient de l’infirmité originelle de l’homme. Pour la laver et l’effacer, on a recours aux lustrations, aux expiations connues, et l’imagination enfiévrée on invente de nouvelles.

Les religions orientales profitent seules de ce mouvement. Non seulement elles ont conservé le dépôt des révélations premières ; elles savent les prières, les formules qui agissent sur la divinité et la forcent à répondre ; mais, par leurs pratiques, l’appareil de leurs cérémonies, la mise en scène de leurs initiations, elles s’entendent autrement que les religions officielles à secouer les esprits, à troubler les sens, à faire jaillir du cœur la source fermée de l’émotion religieuse.

De ces religions concurrentes, laquelle allait donner au monde le dieu universel ? Le judaïsme, qui avait médité, un instant, une extraordinaire faveur, par la simplicité grandiose de son dogme et la pureté de ses mœurs, se met de lui-même hors de cause, lorsque, après la dispersion, il se cantonne, tout à ses rêves de revanche messianique, dans la citadelle de son Talmud. Le culte de Cybèle se discrédite par le charlatanisme et l’impudence de ses Galles, et ne dure qu’à l’état de basse superstition populaire.