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situation a pesé sur lui. Il aurait peut-être, dès cette époque, succédé au ministre défunt, si la rupture encore récente et les animosités qu’elles avaient fait naître n’avaient pas condamné les conservateurs à rester assez longtemps divisés. Il a fallu quelque patience et beaucoup de peine à M. Silvela pour effacer ces souvenirs et pour reconstituer l’unité de son parti : il y est enfin à peu près parvenu. Pendant ce temps, les libéraux se divisaient à leur tour. Pourquoi ? Probablement parce que M. Gamazo et ses amis voulaient, en se séparant de leur chef, se dégager autant que possible des responsabilités de la guerre. Probablement aussi parce qu’ils sentaient que le ministère, sous la forme et avec la composition qu’il avait alors, n’était plus viable, et qu’ils croyaient par leur défection se rendre eux-mêmes plus aptes à le remplacer. M. Sagasta a cherché à compenser les pertes qu’il avait faites d’un côté par certains rapprochemens qu’il a opérés de l’autre. Il s’est réconcilié avec MM. Romero Robledo et Canalejas. Il a noué partie avec le général Weyler, qui remplit, non sans y apporter des allures inquiétantes, l’emploi de chef des mécontens militaires. Mais il semble qu’il n’a eu lui-même qu’une foi assez médiocre dans ces appuis de rechange. S’il voulait vivre, il aurait dû remanier son ministère avant la rentrée des Chambres : il aurait par-là, sinon désarmé beaucoup d’hostilités, au moins satisfait quelques ambitions. Il y a des situations où tout changement est un mal ; il y en a d’autres où il ne peut être qu’un bien, et M. Sagasta était dans une de ces dernières. Il aurait peut-être par ce moyen prolongé ses jours. Il ne l’a pas voulu. Il s’est présenté aux Chambres avec son ministère tel quel, et leur a demandé leur confiance. Il ne l’a pas obtenue assez grande pour continuer de gouverner, et, l’ayant reconnu lui-même, il a remis ses pouvoirs à la Reine régente. On a cru d’abord qu’il n’y avait là, de sa part, qu’une fausse sortie, et que la Reine lui demanderait de lui continuer son concours. Peut-être l’a-t-il espéré lui-même. Mais c’était la dissolution inévitable : M. Sagasta ne pouvait plus gouverner avec les Chambres actuelles. Il est vrai que la dissolution était plus inévitable encore, s’il est possible, avec un ministère conservateur, car en Espagne tout ministère nouveau éprouve le besoin de faire un parlement à son image, dans lequel il mesure lui-même la majorité qu’il s’assure et la minorité qu’il abandonne à ses adversaires. Ces proportions se modifient quelquefois par la suite : à l’origine, elles s’établissent sur le terrain électoral sans le moindre imprévu. La Reine ne pouvait donc pas échapper à la nécessité des élections, et, n’ayant d’autre alternative que de les laisser faire par les libéraux ou par les