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semblables auprès de toutes les autres ligues, qui n’étaient pas solidaires de l’équipée de M. Déroulède, et qui, destinées à en souffrir moralement, ne devaient peut-être pas en souffrir aussi matériellement. Qu’on ait fait une descente chez les royalistes et les bonapartistes, soit encore. Nous ne croyons pas le moins du monde à leur complot ; mais enfin il s’agissait là d’affaires politiques. Quant aux ligues nées de l’affaire Dreyfus, — Ligue des Droits de l’Homme ou Ligue de la Patrie française, — on comprend moins bien l’irruption du gouvernement dans leurs secrets. Leurs secrets ! Elles les criaient sur les toits ; elles les communiquaient à tout le monde ; elles en faisaient l’objet de la plus active propagande. Nous ne savons pas ce qu’on a pu découvrir dans leurs tiroirs ; mais nous croyons, jusqu’à nouvel ordre, que cela n’est pas très différent de ce qu’on a pu lire dans leurs journaux.

Que le gouvernement se soit ému de l’existence de ces ligues, rien pourtant n’est plus naturel. Elles sont nées, en effet, de sa propre insuffisance, ou du moins de l’impression qu’on en avait. Depuis que l’affaire Dreyfus s’est posée en face d’eux comme un sphinx implacable, aucun des ministères qui se sont succédé n’a résolu l’énigme proposée. Ils ont à qui mieux mieux fait preuve d’inintelligence et multiplié les maladresses. Nous ne voulons pas revenir sur le passé ; à quoi bon ? le présent suffit à nos peines ; le gouvernement actuel n’a été ni mieux inspiré, ni plus heureux que ses devanciers. Il y a eu, entre eux et lui, une chaîne ininterrompue de fausses manœuvres, qui dérivaient d’impressions confuses, d’incertitudes et de tâtonnemens. Quand l’initiative ministérielle fait défaut, ou se montre inefficace à l’excès, l’initiative individuelle se produit inévitablement, même dans notre pays où on a une si vieille et si constante habitude de compter sur le gouvernement et de s’en remettre à lui du soin de toutes nos affaires. Alors l’esprit d’association, depuis si longtemps endormi, semble se réveiller. A son tour, il manque d’expérience et il commet des fautes. Il se laisse facilement émouvoir aux impressions du jour, et entraîner à la suite des moindres feux follets. Il a un apprentissage à faire ; on voit bien qu’il ne l’a pas encore fait. Mais pourquoi ce réveil soudain se produit-il, si ce n’est pour le motif que nous venons de dire ? Pourquoi ce désir, ce besoin de s’associer vient-il en même temps aux hommes les plus divers, et les entraîne-t-il d’ailleurs dans les sens les plus opposés ? Pourquoi ? C’est parce qu’aux yeux des uns, les droits de l’homme et du citoyen ne paraissent pas suffisamment garantis par le gouvernement. C’est parce qu’aux yeux des autres, l’idée de patrie, comme ils disent, a fléchi, et que le gouvernement se