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Nous ne croyons pas au sérieux du complot bonapartiste ; nous ne croyons pas davantage au sérieux du complot royaliste. Il y a là deux partis qui, comme on l’a vu souvent dans l’histoire, se nourrissent d’espérances et vivent sans doute d’illusions ; des comités plus ou moins dirigeans ou dirigés ont pu avoir avec leurs adeptes une correspondance qui, si elle est publiée, égayera la malignité publique ; mais voilà tout. Les fondemens sur lesquels reposent nos institutions n’ont pas été plus menacés par les conspirations politiques qu’ils n’ont été ébranlés par la folle aventure de M. Déroulède, dont l’opinion générale a tout de suite mesuré l’importance. Il semble pourtant que ce soit l’initiative de M. Déroulède qui ait déchaîné celle du gouvernement, et c’est précisément ce qui nous inspire des doutes sur son opportunité. L’entreprise de M. Déroulède n’a été jusqu’ici prise au tragique que par lui.

M. Déroulède n’était président que d’une ligue, celle des Patriotes, dont l’histoire est connue de tout le monde. Elle est née à une époque déjà lointaine, au milieu des sympathies générales, et elle a compté parmi ses membres fondateurs, ou simplement honoraires, les hommes les plus marquans du parti républicain, qui croyaient faire une simple manifestation de sentimens patriotiques. On sait comment, il y a une dizaine d’années, la Ligue a dévié de son inspiration initiale : son état-major est devenu celui du général Boulanger. Elle a été dissoute, comme il convenait ; toutefois ses adeptes n’avaient pas cessé de rester en rapports les uns avec les autres, prêts à se réunir au premier signal. M. Déroulède en était toujours le chef in petto. Nous sommes loin de méconnaître la sincérité de M. Déroulède, sa générosité, la spontanéité dénuée de tout calcul avec laquelle il cède à ses premières et très vives impressions ; il est toujours facile de plaider en sa faveur les circonstances atténuantes ; mais on a besoin de les plaider, car les faits restent coupables en eux-mêmes, et ont toujours besoin d’être surveillés. Si la tentative de M. Déroulède n’avait pas aussi complètement échoué, d’autres seraient tentés de la recommencer en s’y prenant avec plus d’adresse. Mais nous sommes loin de là ! M. Déroulède, le jour des obsèques de M. Félix Faure, n’a abouti qu’au plus piteux des avortemens. On ne l’a arrêté que parce qu’il a voulu absolument être arrêté. Il a mis le préfet de police dans l’impossibilité de faire autrement. Il voulait, à tout prix, avoir été coupable du plus grave des attentats. Il proclamait son crime à tue-tête. Qu’il ait fallu, après cela, opérer une perquisition au siège de sa Ligue, soit ; mais peut-être n’était-ce pas une raison suffisante pour en opérer de