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au point de vue littéraire, une vraie barbarie : c’est comme si, durant les quatre siècles suivans, la Russie avait cessé de lire et d’écrire. Les premiers symptômes d’un éveil intellectuel datent du règne d’Alexis, le père de Pierre le Grand ; et les circonstances où ils se produisent sont assez curieuses pour valoir d’être rapportées.

« Dans la cathédrale de l’Assomption, la plus grande et la plus belle des églises du Kremlin, le tsar Alexis, entouré de sa cour et d’une grande foule, vint un jour se jeter aux pieds du métropolite Nikhon, et le supplia de revêtir la dignité de patriarche. Cela se passait en 1652. Six ans plus tard, dans la même cathédrale de l’Assomption, le patriarche Nikhon, après avoir célébré un service où le tsar n’assistait pas, déposa les attributs de son autorité, et déclara au peuple qu’il avait cessé d’être son patriarche. Puis, accompagné des larmes de la foule, il se retira dans un couvent des environs de Moscou. Qu’était-il donc arrivé durant ces six ans ? Un conflit était né entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Le tsar s’était fatigué des remontrances, sans cesse plus vives, du patriarche, qui, en effet, fort de sa vieille amitié avec le souverain, avait pris peu à peu la situation d’un tsar religieux. Nous n’avons pas à raconter ici, d’ailleurs, les détails de ce saisissant épisode de notre histoire : mais nous devons noter que le même concile du clergé russe qui, sur l’invitation d’Alexis, condamna Nikhon et le dépouilla de son patriarcat, admit et approuva la révision, entreprise par l’ex-patriarche, des livres servant au culte divin.

« Sous d’incessantes transcriptions, en effet, de nombreuses erreurs s’étaient glissées dans les écrits ecclésiastiques. Aussi longtemps que ceux-ci restaient manuscrits, toute la responsabilité pouvait être rejetée sur le copiste : mais, lorsqu’on se mit à les imprimer, ces erreurs devinrent, en quelque sorte, officielles. Depuis longtemps déjà, de savons moines, en Grèce et à Kiew, avaient signalé au clergé moscovite le danger qu’il y avait à laisser les choses en l’état : et Nikhon fut un des premiers qui, s’étant sérieusement préoccupés de la question, décidèrent de procéder à une révision radicale des livres sacrés.

« Pour comprendre l’importance de la réforme de Nikhon, nous devons nous rappeler que, à cette époque, la lettre écrite avait presque L’importance d’un dogme. Or, voici qu’on osait introduire la critique dans des questions où la raison, jusque-là, ne s’était jamais permis de toucher… Et effectivement ce fut un éveil de la raison. Dans plusieurs monastères furent fondées de nouvelles écoles. Le plan d’une académie fut approuvé par le tsar, mis à exécution en 1683. De plus en plus le besoin de savoir s’aviva dans la conscience des contemporains. La