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d’additions et de corrections ; et l’on ne saurait souhaiter lecture plus instructive. L’auteur, en effet, n’y perd pas de vue un seul instant qu’il est Russe, ni qu’il s’adresse à des étrangers. Ce ne sont point ses opinions personnelles qu’il confie à son auditoire, ou plutôt il ne lui confie ses opinions personnelles que dans la mesure où elles sont d’accord avec l’opinion générale de ses compatriotes lettrés. Son principal objet est de nous apprendre ce que la Russie pense d’elle-même, comment elle juge ses grands hommes, et les raisons qu’elle a de les juger de la sorte. Quelles sont les origines de la littérature russe ? Quel est son rôle moral et social ? Sur tout cela aussi il s’efforce de nous renseigner. Et, si le témoignage qu’il nous apporte est plutôt celui de son pays que le sien propre, sa personnalité se montre, en revanche, tout entière, dans l’art avec lequel il met ce témoignage à la portée de ses auditeurs.

Je signalais naguère, à propos des études d’un autre écrivain russe[1], les progrès que faisait d’année en année, en Europe, l’application de la « méthode évolutive » à la critique littéraire : c’est cette même méthode qu’a employée M. Volkhonsky, pour exposer à un public étranger l’histoire de la vie et de la pensée russes. D’un bout à l’autre de son livre, les faits sont présentés dans leur enchaînement, et chaque fait apparaît comme une transformation des faits précédens, opérée sous un double courant d’influences extérieures et intimes. Un fil continu relie l’une à l’autre les œuvres successives des générations, depuis le Chant de la Campagne d’Igor jusqu’à la Sonate à Kreutzer. Et c’est comme si toute l’histoire de la littérature russe n’était qu’une grande marche ininterrompue, dont chacune de ces œuvres marque pour nous une étape.

Méthode infiniment délicate, et dont la portée, au point de vue critique, varie à l’infini, suivant qu’on s’en sert avec plus ou moins de science et de conscience. Mais, au point de vue de l’exposition, elle est toujours excellente, mieux faite que toutes les autres méthodes pour éclaircir et pour expliquer. Elle donne aux huit conférences de M. Volkhonsky l’unité, le mouvement, la vie d’un récit ; et c’est grâce à elle que chacun de ses jugemens nous touche, quelle que puisse être d’ailleurs sa valeur absolue ; car, ignorant Pouchkine comme nous l’ignorons, ce qu’on peut nous dire de la beauté de ses vers risque de nous laisser assez indifférens, tandis que nous sommes forcés de nous intéresser à lui quand on nous montre le rôle qu’il a joué dans le

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1896.