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qu’elle a de meilleur, cette musique se rattache d’abord au chant grégorien. Elle en emprunte souvent les thèmes ; elle en imite volontiers les particularités modales et le diatonisme vigoureux. L’action de Bach est plus rare ; on la reconnaîtrait néanmoins en quelques passages (voir, dans la seconde partie de la Transfiguration, un air admirable du père de l’enfant possédé). Mais les maîtres authentiques du jeune prêtre, ceux dont il procède le plus directement, ce sont les grands Italiens sacrés du XVIIe siècle, les véritables créateurs de l’oratorio. C’est à ceux-là surtout qu’il doit d’être simple, d’être fort, et d’être touchant. Ils ne lui ont même pas interdit d’être pathétique, et je vous engage fort, si vous étiez tenté de trouver trop passionnée la Madeleine de Don Lorenzo, à relire dans Carissimi la déploration et je dirais volontiers l’imprécation de la fille de Jephté.

Le « pretino-prodige » a-t-il donc tous les dons, hormis celui d’être lui-même ? Il l’est déjà, n’en doutez pas, et promet de l’être de plus en plus. Je crois à l’avenir de cet enfant. Il est lui par la profondeur, par la sincérité, par la simplicité du sentiment qui le pénètre, le remplit et quelquefois le déborde. Il est lui par la grandeur, par la pureté d’un style que jamais rien ne corrompt ni n’abaisse. Il est lui par les admirables qualités d’un sentiment, d’une émotion faite, devant les choses divines, de jeunesse, de foi, de respect et d’amour. S’il était tout ce qu’a dit sa patrie, s’il avait renouvelé la musique, ne fût-ce qu’une forme ou un genre de musique, l’oratorio, alors il serait tout simplement un musicien de génie. Il n’est peut-être pas loin de le devenir.


CAMILLE BELLAIGUE.