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veille, coalisés le lendemain contre lui, ou peut-être à tant de généraux, si vite ralliés autour du pouvoir, quelque fût le maître qui détenait ce pouvoir. Il oubliait les peuples. Il oubliait tous ces obscurs dévouemens, tout cet enthousiasme, tous ces sacrifices, tout ce sang versé pour lui. De là les maximes de sa politique. Il faut s’attacher les hommes, non par la reconnaissance, mais par l’intérêt. Encore ne les retient-on pas par les bienfaits. Ce n’est que dorer par avance la trahison. Le mieux, c’est de les séduire par des promesses et de les leurrer par l’attente. « Promettre et ne pas tenir, voilà comment il faut se conduire dans le monde. » Napoléon a été un grand contempteur des hommes. On sait ce qu’il pensait des femmes. « Je trouve ridicule qu’un homme ne puisse avoir légitimement qu’une seule femme… En France, les femmes sont trop considérées ; elles ne doivent pas être considérées comme les égales des hommes et ne sont en réalité que des machines à faire des enfans. » Quand un homme s’exprime ainsi sur le compte des femmes, n’ayez aucune espèce de doute : c’est qu’il est destiné à en être la dupe. L’exemple de Napoléon le prouve — impérialement. Laissons de côté les aventures auxquelles il ne demandait que le plaisir d’un moment ou que la satisfaction d’un besoin. Peu d’hommes ont apporté plus de sincérité, plus de fidélité, plus de naïveté en amour. A vingt ans de distance, il se rappelle les moindres détails par où débuta son roman d’amour avec Joséphine. Après le 13 Vendémiaire, il avait fait rendre à la veuve du général Beauharnais l’épée de son mari guillotiné. « Le lendemain, Mme de Beauharnais vint s’inscrire chez moi ; quelques jours après, elle revint encore. Alors j’envoyai Le Marrois lui faire une visite. Il fut très bien reçu. Il me rapporta que c’était une belle femme, aimable, ayant un hôtel ; j’y fis porter une carte. Peu après, elle m’invita à dîner. Je m’y trouvai avec les personnages ordinaires de sa société, le duc de Nivernois, Mme Tallien, Elleviou, je crois même que Talma y était aussi. Elle me traita à merveille, me plaça à côté d’elle, m’agaça. » Puérilités, banalités, médiocres détails auxquels l’éveil du sentiment prête une poésie que le temps n’effacera pas. L’officier pauvre a été séduit par des élégances de femme à la mode, conquis par un luxe voyant de femme entretenue. Ce roman, c’est le roman d’un des Grieux empereur avec une Manon couronnée. Maintenant encore, après le divorce, après la mort de Joséphine, Napoléon ne parle d’elle qu’en amoureux. Elle s’habillait si bien ! Il y avait tant de grâce dans ses mouvemens ! Elle eût été pour l’Albane un si parfait modèle ! Il sait qu’elle le trompait, qu’elle l’endettait, qu’elle lui mentait. Il ne lui en veut pas. Elle était