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ceux qui veulent aller en relégation ? » tous lèveraient la main ; et la France continentale serait débarrassée de cette multitude d’individus nuisibles dans leur misère. Ces êtres lamentables rendraient des services si l’on savait les utiliser. Beaucoup de vagabonds avaient vu autrefois un débouché dans le remplacement militaire : ne pourrait-on leur offrir le débouché de l’armée coloniale, en leur faisant entrevoir l’espoir d’une concession quelconque, la perspective d’une situation stable dans l’avenir ? »

Ainsi, notre vagabond avait une dose de philosophie qui lui avait permis de séjourner dans les milieux les plus corrompus sans devenir assassin ou voleur. Il n’avait subi que des condamnations pour vagabondage. En dernier lieu cependant, mourant de faim, il était entré dans une auberge où il s’était fait servir quelque nourriture qu’il était hors d’état de payer ; encore s’était-il montré raisonnable, n’ayant consommé que pour 1 fr. 50. « A la dernière extrémité, nous dit-il, je préfère encore cela au vol : ce n’est après tout que la filouterie d’alimens, et il y a une nuance. »

En somme, cette question du vagabondage est un problème extrêmement grave. Celui qui le résoudra aura bien mérité de la société ; il aura réduit le nombre des voleurs et des assassins ; il aura sauvegardé la propriété et prévenu de nombreux attentats contre la vie humaine ; et il aura enfin tari la source infinie des souffrances souvent imméritées de tant de milliers d’êtres humains promenant, d’un bout à l’autre d’un pays prospère, leurs vêtemens en haillons, leur cœur ulcéré, leur corps meurtri, triste asile d’une pauvre âme sans espoir. Pour nous, dont le but a été surtout de consigner ici une série d’observations prises sur le vif et qui n’avons pas la prétention de résoudre le redoutable problème, nous nous contentons de soumettre à qui de droit l’opinion de notre vagabond philosophe. Y a-t-il vraiment là une indication ? c’est à d’autres que nous d’y regarder de plus près. En tout cas, cette solution elle-même soulèverait une foule d’autres questions qui devraient être débattues avant qu’on l’adoptât et que nous ne nous sommes pas proposé aujourd’hui d’examiner.


E. FOURQUET.