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vice fondamental des colonies existantes, c’est l’application d’un régime uniforme à des gens de natures diverses réunis pêle-mêle. « Si vous mettez, ajoutait-il, des fruits sains en contact avec des fruits qui se gâtent, ils ne tarderont pas à se gâter à leur tour : pourquoi voulez-vous que la corruption des vagabonds vicieux avec lesquels ils sont entassés n’atteigne pas les vagabonds capables encore de bons sentimens et susceptibles d’être régénérés ? Pour les mêmes raisons, disait-il, chacun aurait sa cellule, à cause des mœurs, car vous ne vous faites pas une idée de ce qui se passe dans la prison en commun et des habitudes qu’y contractent les jeunes détenus ; certains souffrent de la vue de choses révoltantes, mais ils se taisent : on ne tient pas à se faire tuer à sa sortie de prison. Les uns travailleraient donc à l’exploitation agricole adjointe à l’établissement et l’on soumettrait les autres à des travaux conformes à leurs aptitudes. Une part de la rémunération impartie à chacun lui serait abandonnée ; l’autre moitié servirait à lui constituer un pécule ; au bout d’un certain temps, il serait loisible aux colons de reprendre leur liberté, mais on les avertirait en même temps qu’ils ne seraient plus reçus qu’une fois seulement dans la colonie. On leur remettrait au départ leur pécule et un carnet indiquant les notes qu’ils auraient obtenues et surtout des données sur leur caractère. Si, après un deuxième séjour, ils reprenaient de nouveau leur liberté, on les avertirait qu’ils s’en vont définitivement, et que le premier délit qu’ils commettront entraînera pour eux la relégation : ainsi en disposerait une loi. C’est le seul moyen, concluait notre vagabond, de faire une sélection et d’éliminer les criminels irréductibles. »En l’écoutant, je pensais vaguement à l’abbaye de Thélème.

Cette théorie nous a cependant paru digne d’être citée, en tant qu’elle révèle un état d’esprit assez inattendu chez un malheureux dont le casier judiciaire est chargé d’assez nombreuses condamnations.

A propos de la loi sur la relégation, il s’anima. « Ah ! monsieur, on parle de la création d’une armée coloniale : mais nous en avons une toute faite ! Que de travaux n’exécuterait-on pas avec tous ces milliers de gens sans feu ni lieu et sans espoir ! Pourquoi ne pas utiliser tant de bras inertes aux colonies, au lieu de sacrifier des jeunes gens utiles à leurs familles dans la métropole ? Si la relégation, au lieu d’être une peine, était une chose facultative et que l’on vînt dire dans les prisons : « Quels sont