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les tribunaux prononceraient-ils des peines plus longues, et l’emprisonnement cellulaire serait-il substitué à la prison en commun : ces moyens, préconisés par M. Gomot (cité par M. Bérard), seraient inefficaces. Pour s’en rendre compte, il suffit de réfléchir à la situation faite aux vagabonds à l’expiration de leur peine. Dans la plupart des maisons d’arrêt, en effet, les détenus en cours de peine ne peuvent se constituer que des pécules insignifians quand ils ne sont pas nuls. Par le temps qui court, un ouvrier résolu et courageux et d’un passé irréprochable peut ne point trouver, du jour au lendemain, de l’occupation ; mais la situation est pire encore pour un homme démoralisé par la détention et plus ou moins déguenillé, qui vient de subir sa peine. Quelle confiance inspirera-t-il avec des vêtemens en loques, un air misérable et, pour toutes références, un certificat constatant qu’il sort de prison ? S’il n’a pas de pécule, il lui faudra mendier ; s’il a un pécule, celui-ci ne sera pas suffisant pour lui permettre de vivre jusqu’à ce qu’il ait trouvé du travail. Aussi est-il voué à la vie errante, à la mendicité, en attendant le vol inévitable, le crime probable, la relégation. L’emprisonnement cellulaire, s’il le soustrait au contact dissolvant, meurtrier, des détenus parvenus à l’état de corruption irrémédiable, ne lui évite pas la rechute à bref délai. S’il demande du travail, ayant un reste d’énergie, on le repoussera, car, pour reprendre une expression de M. l’avocat général Bourdon, il est disqualifié aux yeux du public, un libéré étant toujours un suspect. Aussi, de tous les détenus, les vagabonds sont-ils ceux qui protestent le plus hautement contre le casier judiciaire, obstacle, pour eux souvent insurmontable, à la reprise du travail.

Donc, ni l’augmentation du nombre des agens de répression, ni l’emprisonnement cellulaire ne seraient un remède suffisant ; et les peines plus longues ne rempliront le but qu’en tant qu’elles compléteront le nombre de condamnations requis pour la relégation.

Naturellement, nous ne nous occupons pas ici des vieillards et des infirmes, de ces pauvres créatures promenant leurs souffrances, leurs plaies, leurs corps mutilés sur tous les points du territoire et que les principes de solidarité sociale font un devoir à la nation de retirer de la circulation en les recueillant dans des asiles. Ceux-là relèvent des principes de charité qui ont leur source dans la pitié, une des meilleures choses qui soient en