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château du marquis de Colbert. Ses vêtemens sont tachés de sang : « Je me suis meurtri, dit-il aux domestiques, en tombant dans des épines au cours d’une crise d’épilepsie. » On lui donne des habits et quelque menue monnaie, et il va, à la faveur de la nuit, grâce à ses excellentes jambes, mettre une distance respectable entre lui et l’arrondissement de Draguignan.

Du Var il se rend dans l’Isère. Après deux mois passés dans une ferme, il regagne Lyon où, à la nuit tombante, dans le quartier de Surville, il tente d’assassiner une marchande d’oranges. Puis il prend bien vite la route de Paris. Le 12 mai, il arrive aux environs de Dijon, où il assassine Augustine Mortureux. Le crime a lieu à dix heures du matin sur une route encombrée de piétons et de bicyclistes qui se rendaient à la fête du Val-Suzon. Du moment que le bois du Chêne est proche, qu’importent les passans à ce scélérat qui, pratiquant — il l’a confié à un codétenu — « le coup du père François, » étranglait en un clin d’œil ses victimes, les transportait à quelques mètres derrière le moindre obstacle, pour les saigner à l’aise, et auquel trois minutes suffisaient pour consommer un crime ?

Les journaux ne parlent pas encore de l’assassinat qu’il est déjà à Semur. De là il revient sur Lyon, s’achemine vers la Savoie en passant par Bénonces (Ain), puis cherche à attirer, à Corbonod, un jeune berger, dans un bois d’où il était sorti tout à coup. Il passe ensuite en Savoie, d’Annecy se dirige sur Chambéry, assassine chemin faisant la veuve Morand, une vieille femme, à Saint-Ours (24 août). De là il revient en quatre jours à Bénonces, où il tue (31 août) Victor Portalier, dans un pâturage désert, au milieu des bois. Il gagne l’Isère, puis la Drôme, où, sur une route traversant un bois, il donne la mort à Aline Alaise. Il égorge, quatre jours plus tard, auprès d’une bergerie, dans une montagne boisée, à Saint-Etienne-de-Boulogne (Ardèche), le jeune Massot-Pelet.

Comment arrêter la marche du monstrueux assassin qui dissimule rapidement sous des feuillages ses victimes, à quelques mètres de l’endroit où il les tue, pour éviter la découverte immédiate de son forfait et se donner le temps de fuir ; qui accumule les kilomètres entre lui et le lieu de l’assassinat avant que le crime ait été découvert ; qui franchit de nouvelles distances pendant que la famille se perd en conjectures sur les mobiles du crime et fournit au magistrat des données erronées ; qui abat de nouvelles