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soupçons ? Infailliblement, sur quelqu’un du village. Entre temps, à travers la nuit, Vacher accomplira une marche forcée, et le lendemain, avant même que la justice soit sur le lieu du crime, il aura franchi 80 kilomètres. Le troisième jour, lorsque se répandra la nouvelle de l’assassinat, il sera tranquillement à Lyon, chez un logeur du nom de Piaso, rue Groslée, et enfin, quinze jours plus tard, il entrera au régiment. Bien qu’aucun doute ne puisse s’élever sur la culpabilité de Vacher, il n’a pu être convaincu de ce crime ; il lui a suffi de le nier. Il l’a fait avec embarras, il est vrai, affectant de n’en pas même connaître l’existence. Cependant, un témoin, le nommé H…, a déclaré dans l’information que, se trouvant en compagnie de Vacher dans une auberge de l’Isère où il était question de ce crime, « le tueur de bergers » lui avait confié que, le jour de l’assassinat d’Olympe Buisson, il se trouvait précisément à la fête de Varacieux, en compagnie d’un autre vagabond du nom de J. F…

A sa sortie de Saint-Robert, les 17 et 18 mai, Vacher tente d’assaillir deux femmes isolées, gardant leur bétail aux environs de Beaurepaire. Le 19, tout près de là, il tue, dans les circonstances que l’on sait, à la nuit commençante, Eugénie Delhomme. C’était encore là une proie facile. Il gagne ensuite à travers champs un bois voisin : on a relevé l’empreinte de ses pas tout le long d’un champ de luzerne qui aboutissait à ce bois. Il marche ensuite toute la nuit. Il sera bien loin, le lendemain, lorsque la justice intervenant s’arrêtera, non pas à l’hypothèse d’un vagabond assassin, mais à celle de quelque amoureux du voisinage. Et voilà le meurtrier parti à grandes enjambées. Il ira jusqu’aux portes de Genève, au Grand-Sacconex, reviendra à Lyon, puis, ayant descendu la vallée du Rhône, assassinera Louise Marcel à la Vaquière. Il faut avoir vu l’endroit du crime pour comprendre combien il était favorable aux desseins du meurtrier. Un lieu désert, un chemin peu fréquenté, une hutte croulante, un bois de pins à proximité. Il n’en faut pas tant à Vacher, qui opère rapidement, puis gagne la forêt et fuit ensuite à une allure telle que, deux heures après, il se trouve assez loin pour que la justice, à laquelle son passage a été signalé, estime que ce vagabond ne saurait être l’assassin, attendu qu’il n’aurait pas eu le temps de franchir en si peu de temps la distance qui séparait le lieu du crime du point où un témoin l’a rencontré. Le soir de ce même jour, il arrive au Canet du Luc, où il simule une attaque d’épilepsie devant le