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contrôler l’emploi de son temps ; mais le vagabond peut aller de porte en porte sans éveiller les soupçons, puisque c’est son métier d’entrer dans les maisons pour y demander du pain ou du travail. Le vagabond, grâce à l’habitude qu’ont beaucoup de paysans de l’héberger, rencontre, pour explorer les habitations, des facilités que n’a point le malfaiteur domicilié, dont la présence serait remarquée et suspectée. Le malfaiteur domicilié se trouve en face de difficultés qui consistent à choisir l’heure et l’endroit, tandis que le vagabond, qui va droit devant lui, qui n’en veut point à une personne déterminée, mais qui s’attaque à celle que lui livre le hasard, n’a point ces embarras.

Il se trouve dans des circonstances éminemment favorables pour tuer et violer. Il prend son temps. S’il échoue, il disparaît sans avoir été remarqué. Il peut, à l’aide des vêtemens mendiés, en réserve dans son sac, opérer de rapides transformations, confondu dans la cohue des autres mendians qui courent les chemins, perdu dans cette Cour des miracles en marche, dans laquelle il est si difficile de démêler les signalemens et de contrôler l’emploi du temps.

Certains individus de la « haute pègre » ont si bien compris la supériorité de ce genre de tactique, qu’ils vont opérer au loin, entre deux trains ; et, à cet égard, la rapidité des moyens de locomotion favorise l’impunité. Voici un exemple pris au hasard entre beaucoup d’autres. Il y a quelques années, à Besançon, un vol de 40 000 francs de titres fut commis avec une audace inouïe, à trois heures de l’après-midi, au milieu du quartier le plus populeux de la ville et dans une maison habitée par de nombreux locataires. Pour éloigner la victime de son domicile pendant l’opération, un commissionnaire lui fut envoyé, porteur d’une note faussement signée du nom d’un des clercs de son notaire, qui le convoquait en son étude d’urgence, avec sa femme. Pas de domestique au logis. Le notaire, lorsqu’ils se présentèrent, leur déclara qu’ils étaient sans doute victimes d’une mystification. On était au 1er avril, l’hypothèse était donc vraisemblable. Mais les époux, en rentrant chez eux, trouvèrent leur maison pillée. Un juge suppléant provisoirement délégué à l’instruction demanda au volé s’il n’avait point été antérieurement victime de quelque méfait. Celui-ci répondit affirmativement, mais ajouta que le délit (un vol de 400 francs) remontait à plus de dix ans et que son voleur, dont il avait alors exigé l’engagement militaire comme condition du