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l’isolement est surtout le propre des vagabonds inoffensifs, et il n’en va pas de même des roulans criminels, de plus en plus portés, au contraire, à se grouper en vue de l’accomplissement de leurs crimes. — Lorsqu’ils ne trouvent point de travail, les vagabonds mendient, pratiquent la filouterie d’alimens, le vol et même recourent à l’assassinat. Pendant la mauvaise saison, les prisons exercent sur eux une véritable attraction : ils y trouvent le gîte et la nourriture, et une occupation qui leur assure un petit pécule, de quoi acheter parfois à leur sortie des chaussures et quelques vêtemens. Actuellement, beaucoup désirent ta ter de la nouvelle prison de Fresne-lez-Rungis, dont les journaux (car les vagabonds lisent volontiers) leur ont vanté le confortable, et ils s’acheminent vers cet établissement dans l’espoir d’y faire un séjour (à en croire ce que plusieurs vagabonds nous ont affirmé).

Nous avons dit que le fait de n’exercer habituellement aucune profession, d’être sans domicile fixe et sans moyens d’existence constituait le délit de vagabondage ; mais il convient d’ajouter que les tribunaux font généralement un crédit de trois semaines ou un mois aux nécessiteux errans : c’est-à-dire qu’un individu arrêté pour vagabondage, s’il allègue avoir travaillé depuis moins de trois semaines ou un mois, obtient que les parquets fassent vérifier d’urgence le bien-fondé de cette prétention et, si le fait est reconnu exact, remettent l’inculpé en liberté. Mais que de fois, sans s’en douter, ils ont eu sous la main de dangereux criminels arrêtés pour vagabondage et relâchés à l’expiration de leur peine, sans que leur qualité d’assassins ait été soupçonnée !

C’est que, précisément en raison de leur genre de vie, les voleurs ou les assassins vagabonds sont extrêmement difficiles à saisir. Comment, en effet, donner le signalement d’un chemineau vaguement entrevu ? Et si, comme il arrive la plupart du temps, personne n’a vu commettre le crime, en admettant même que les soupçons se portent sur quelque « roulant, » — ce qui n’était pas l’hypothèse à laquelle on s’arrêtait généralement avant l’affaire Vacher, — lequel soupçonnera-t-on parmi tant d’autres qui seront passés ? Rien ne ressemble autant à un vagabond qu’un autre vagabond pour le vulgaire, dont l’attention est médiocrement sollicitée par l’aspect d’un misérable ? Et puis, si la demande de l’emploi de son temps à un inculpé qui a des habitudes connues, méthodiques, peut être une source d’indices révélateurs, quelle ressource offrira, pour l’information, une pareille question posée