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voyageur qui ait fait cette remarque des plus importantes causes. »

Il n’y a pas entre les « roulans » cet esprit de solidarité que leur attribuent certaines personnes mal renseignées, et c’est tout à fait exceptionnellement qu’ils se communiquent entre eux des renseignemens sur les régions hospitalières. Ils se jalousent ordinairement, et ceux qui ont une certaine expérience de la vie nomade se gardent bien de servir d’indicateurs : les vieux sont généralement détestés des jeunes. Si d’aventure quelqu’un d’entre eux a réalisé quelques centaines de francs d’économies, malheur à lui, le jour où il tombe entre les mains d’un vagabond vigoureux qui a flairé le trésor caché !

Au cours de leurs pérégrinations, les vagabonds couchent tantôt dans les fermes, soit dans les écuries près du bétail, soit dans les granges sur de la paille, soit dans les greniers ; tantôt dans quelque meule de paille ou de foin ; tantôt dans des masures, bergeries, huttes abandonnées ; tantôt dans quelques réduits affectés par les municipalités au logement des mendians et des vagabonds ; parfois aussi dans les couvens et chartreuses, ou bien encore en rase campagne, pendant la saison chaude, sous un arbre ou le long d’une haie. Ils redoutent beaucoup les asiles réservés aux passans, parce que, disent-ils, la vermine accumulée par les hôtes plus ou moins propres qui s’y succèdent pullule et les dévore. Ils ne semblent avoir qu’une affection médiocre pour les couvens, dont les refuges destinés aux hommes errans, sous leur apparence de propreté, recèlent aussi de la vermine. Certains couvens se sont d’ailleurs départis de leurs habitudes hospitalières en réduisant les aumônes. Ce sont du moins les chemineaux qui le prétendent.

M. Alexandre Bérard, au cours d’une étude fort intéressante et documentée qu’il a publiée sur le vagabondage dans les Archives d’anthropologie criminelle, dit avec juste raison que le vagabondage en bandes disparaît ; mais la raison qu’il donne de ce phénomène, à savoir la transformation économique du pays (liberté commerciale à l’extérieur, création de voies ferrées à l’intérieur), ne m’a point été donnée par les nombreux nomades que j’ai interrogés comme étant celle de la disparition des bandes et par suite de la diminution du nombre des affaires de vagabondage. C’est par intérêt que le vagabond chemine seul, dans l’espoir d’inspirer moins de crainte et d’obtenir plus tôt un gîte ou du travail. Tous ceux qui sont un peu intelligens obéissent, en s’isolant, à cette considération. Au surplus, cette tendance à