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monotonie. Mais, quelle que soit la nature des condamnations, on est assuré d’en découvrir toujours une longue énumération dans les états de service des individus qui, à partir de l’âge de dix-huit ans, comparaissent devant les tribunaux pour y répondre du délit de vagabondage. Et comment en serait-il autrement ? Une fois engagé dans l’ornière, une fois pris dans l’engrenage, le « chemineau » n’en sort plus ; il finit par s’habituer, à ce sort lamentable ; il achève de se vicier dans les prisons au contact d’individus moralement incurables ; il y apprend à pratiquer le vol et au besoin l’assassinat. Dès lors il est voué à la vie errante jusqu’à ce qu’il périsse de misère ou que, complétant, par l’accomplissement d’un nouveau crime ou délit, la série requise pour la relégation, il aille finir ses jours à la colonie penitentiaire. Il est certain que le délinquant primaire, envoyé à l’école du vice, dans une maison d’arrêt, doit fatalement en sortir à l’état de criminel endurci ; et le contraire seulement pourrait causer quelque surprise. Un inspecteur général des prisons a eu raison de dire : « Avec notre système pénitentiaire, vingt-quatre heures de prison suffisent, dans certaines circonstances, pour perdre une existence. » L’auteur ajoute : « La prison, même celle subie en cellule, lorsqu’elle frappe un individu chez lequel tout sentiment d’honneur n’est pas éteint, désarme son courage, brise en lui le ressort moral, l’avilit à ses propres yeux et surtout le disqualifie à ceux du public, car un libéré est toujours un suspect. Il n’y a pas témérité à affirmer, a dit M. Barthou, que la prison corrompt le condamné plus qu’elle ne le corrige et qu’elle ne l’amende, et on a pu l’appeler : le bouillon de culture de la criminalité[1]. »

Dans la grande famille errante figurent aussi des nomades, venus du centre de l’Europe ou du Sud-Est : Bohémiens, Roumains, Bulgares ; des forains, saltimbanques, montreurs d’ours, bateleurs, vanniers ambulans, etc. ; mais ceux-là ne sont pas précisément des vagabonds au sens légal du mot, leurs maisons roulantes étant considérées, juridiquement parlant, comme des domiciles fixes.

Non seulement ils s’attaquent aux récoltes dans les campagnes qu’ils traversent, mais encore ils sont passés maîtres dans l’art d’inventorier rapidement les maisons dans lesquelles ils

  1. M. Lacassagne. Note extraite de La loi de sursis (Discours de M. l’avocat général Bourdon à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Lyon du 17 décembre 1898).