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sources multiples de leurs dépenses ; il ne voit que les recettes. Dès l’instant où le salaire est plus élevé dans les villes, il en conclut que la situation des travailleurs y est meilleure ; il oublie que le chiffre de son loyer au village est relativement insignifiant, que ses frais d’entretien sont dérisoires, et qu’il faudrait, pour établir son propre budget, ajouter aux prix des récoltes qu’il vend la valeur de toutes celles qu’il consomme.

L’instruction de plus en plus répandue a eu fatalement pour conséquence de détourner beaucoup de jeunes gens de la vie agricole, même du commerce. Les classes inférieures, considérant que l’instruction avait été l’apanage exclusif des classes supérieures, se sont pénétrées de cette idée qu’elle ne devait point s’allier au travail matériel, mais se suffire à elle-même. Elles n’ont vu, par suite, dans l’instruction répandue à profusion, que la facilité d’accès de tous à tous les emplois ; en faisant instruire leurs enfans, elles n’ont plus considéré que la possibilité de les introduire dans les fonctions publiques et les professions libérales, idéal de leurs aspirations. De là, cet encombrement de toutes les carrières et la misère qui s’abat sur des jeunes gens auxquels les diplômes sont impuissans à assurer la vie matérielle. La classe des déclassés est née, soit de l’impossibilité pour eux d’exercer des métiers d’artisans auxquels ils n’étaient point préparés, soit du refus de se soumettre par orgueil aux exigences de certaines professions dont l’exercice leur semblait une déchéance et une humiliation.

Une autre cause du mal réside encore dans l’irrésistible entraînement vers le luxe qui s’est emparé de toutes les classes de la société. La plus pauvre fille du plus misérable village rougirait aujourd’hui, dans la plupart des provinces, de porter encore le bonnet de lingerie familier aux paysannes d’il y a trente ans ; il lui faut des chapeaux et des robes à la dernière mode ; bien mieux, elle les renouvelle à chaque saison. Les étoffes se vendent beaucoup moins cher qu’autrefois : mais celles dont les prix sont accessibles aux bourses modestes font infiniment moins d’usage ; la façon en est autrement dispendieuse que celle des simples vêtemens d’autrefois ; les chapeaux ne coûtent pas plus que les bonnets d’antan, mais la mode des bonnets, par exemple, ne variait guère, et finalement, des paysannes dépensaient dix fois moins pour des toilettes plus simples, dix fois plus durables, et qui leur seyaient dix fois mieux. Sans doute le sort des